Abdoulaye Tine sur le parrainage : «Le principe, il faut le maintenir»

La Cour de Justice de la CEDEAO lui a donné gain de cause en invalidant la loi sur le parrainage. Pour autant, Abdoulaye Tine n’est pas contre l’idée de filtrer les candidatures pour éviter les candidatures fantaisistes. Mais le secrétaire général de l’Union sociale libérale (USL) appelle à repenser le système actuel.
«Il n’existe pas au Sénégal un seul leader politique sérieux qui n’était pas d’accord sur cet impératif de sélectionner les candidatures…»
Plus que la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO, c’est l’opportunité du maintien du parrainage qui est aujourd’hui en cause. «Il convient de distinguer le parrainage en soi et le système de parrainage qui avait été mis en place. Je pense que concernant la nécessité d’avoir un filtre, c’est-à-dire des critères raisonnables et objectifs qui doivent en tout cas permettre de sélectionner à l’avance les candidatures pour éviter des candidatures fantaisistes, il va de soi, il n’existe pas au Sénégal un seul leader politique sérieux qui n’était pas d’accord sur cet impératif de sélectionner les candidatures de manière équitable, rationnelle et transparente», déclare le secrétaire général de l’USL.
Néanmoins, l’argument de l’Etat sur l’insoutenabilité de ces multiples candidatures (139, selon le ministre Oumar Guèye, sans le parrainage en 2019) aussi bien financièrement que techniquement «pourrait, à la limite, être admissible» , opine Abdoulaye Tine, qui souligne : «Mais, ce qui s’est passé au Sénégal, c’est qu’ils ont voulu, sous couvert de l’argument de rationalisation, du point de vue technique et financier, créer des obstacles, des entraves à la libre participation, et c’est cela que la Cour a condamné».
«Le système n’a pas fait l’objet de discussion consensuelle, il a été imposé unilatéralement»
Concrètement, que faut-il face au risque de prolifération de candidatures ? «Ce qu’on propose en retour comme système pour réguler les candidatures est en partie à cheval entre ce qui existe, qu’on a critiqué, à savoir le principe de la loi sur le parrainage, le principe du parrainage tout court, le principe, il faut le maintenir», préconise Me Tine, qui précise : «Par contre, là où on n’est pas d’accord c’est, encore une fois, le système n’a pas fait l’objet de discussion consensuelle. Il a été imposé unilatéralement».
La Loi N° 2018-22 du 04 juillet 2018 portant révision du Code électoral sénégalais mettait hors course beaucoup de candidats à la présidentielle de 2019. L’USL, à travers son recours introduit devant la Cour de Justice de la CEDEAO, incarnait les espoirs de la quasi-totalité de la classe politique du pays, écartée du scrutin présidentiel. Mais au-delà de la sanction de la violation «du droit de libre participation aux élections», le 28 avril dernier, il y a nécessité de purger le principe du parrainage de «tout calcul politicien», estime Me Abdoulaye Tine.
«La question qui s’était posée, c’était le système de parrainage qui avait été mis en place. J’insiste bien sur le mot système : le fait de dire qu’un électeur ne pouvait pas, par exemple, parrainer deux candidats, et qu’un électeur ne pouvait parrainer qu’un seul et qu’en cas de double parrainage par le même électeur, le premier qui a déposé son dossier est celui qui est éligible, donc qui est pris en compte», regrette-il ajoutant «que le contrôle, ici, était inexistant, aléatoire parce que tout simplement une personne qui vous parraine, vous présumez sa bonne foi. Si elle parraine deux candidats, vous n’avez aucun moyen de contrôler cela. (…) Finalement, la participation à la présidentielle était devenue quelque chose d’aléatoire, non rationnel.»
Ce qui lui fait dire que «les formations en lice ou les candidats ne maîtrisaient pas leur sort. Et parce qu’il n’y avait pas une rationalité précise qui préludait à cela. Donc, c’est tout cela qu’il va falloir revoir et tout cela devra faire l’objet d’un grand débat national, d’une discussion consensuelle pour qu’il n’y ait pas, demain, de contestation», analyse-t-il.
Mais, il insiste sur la redéfinition de critères objectifs et rationnels. «Tout le monde sait que ce qui s’est passé au Conseil constitutionnel est inadmissible dans la mesure où on nous a demandé, à nous candidats, de chercher des signatures et tout le monde a cherché des signatures et, malheureusement, ils n’ont pas contrôlé les signatures, ils ont contrôlé les numéros des pièces d’identité, ce qui ne veut absolument rien dire. Les mots ont un sens et une signification. Et surtout cela n’a pas de sens dans un pays où on a plus de 60% de taux d’analphabétisme de mettre en avant la question de la signature parce qu’il y a des gens, sur leurs pièces d’identité, c’est marqué + ne sait pas signer +».
«Tout cela montre que c’était une réforme précipitée, bâclée»
«Ce système, il faudra le purger de tout calcul politicien. ( …) Tout cela montre que c’était une réforme précipitée, bâclée et, qu’en réalité, ce qui les motivait n’était pas de rationaliser du point de vue financier et technique la participation à l’élection, mais c’était juste de poser des entraves pour pouvoir évincer certains candidats. C’est tellement évident que même dans le Code électoral, ils ont réformé les articles exprès pour sortir de la course Khalifa Sall et Karim Wade. Et cela est honteux et scandaleux», dénonce-t-il.
Et de prôner une plus grande neutralité de l’organe de contrôle. «(…) dernier point qui a fait cruellement défaut au Sénégal, c’est que l’organe, le Conseil constitutionnel, qui était chargé de contrôler les candidatures, on a vu que le Conseil constitutionnel n’avait pas en tout cas une assistance technique indépendante. C’était la Direction de l’automatisation du fichier électoral qui assistait le Conseil constitutionnel. Or, là c’était une atteinte grave à l’indépendance de la justice mais aussi aux fonctions juridictionnelles dans la mesure où les charges du Conseil constitutionnel sont tenues par une déontologie, ils ont prêté serment, ils sont censés être indépendants parce qu’ils n’ont pas de lien de subordination avec quiconque, ils n’ont d’autorité que la loi», explique-t-il.
Et de conclure : «Mais les informaticiens qui travaillaient pour eux, qui faisaient la réalité du boulot, étaient des personnes qui avaient un lien hiérarchique avec le ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire la Direction de l’automatisation du fichier (DAF), mais surtout ces personnes n’étaient pas tenues à aucune déontologie particulière. Ce qui fait qu’on ne pouvait pas les considérer comme des experts au sens judiciaire du terme. Or, Macky Sall était parmi les candidats et ces personnes en réalité étaient ses subordonnés in fine».
Va-t-on vers des amendements d’une loi sur le parrainage plus en conformité avec les standards de la Communauté ? Les conclusions de la mission d’audit du processus électoral devraient nous édifier.

Ahmed Souleymane