Des acteurs sans-papiers à l’affiche d’un film sur la crise migratoire

Le court-métrage « Et toujours nous marcherons » plonge dans les tréfonds de la crise migratoire à travers l’histoire d’un migrant camerounais entré clandestinement en France dans l’espoir de retrouver son frère dont il est sans nouvelles. Pour incarner certains personnages, le réalisateur Jonathan Millet a fait appel à des sans-papiers du foyer Saint-Just, dans le 17e arrondissement de Paris. Le 13 janvier, le film a été projeté aux résidents des lieux.

Dans le hall d’entrée du foyer d’hébergement social Saint-Just, dans le 17e arrondissement de Paris, quelques résidents s’arrêtent devant une affichette collée sur une porte. « Samedi 13 janvier : Projection du film tourné dans le foyer ». En scrutant la petite affiche, les interrogations fusent : « Vous allez tourner un film ici ? », demandent les uns. « Il y a des acteurs connus qui vont venir ? », questionne un autre. Peu de personnes semblent au courant de l’événement. Dans 30 minutes, au sous-sol, le court-métrage « Et toujours nous marcherons », tourné en grande partie dans le foyer, va être diffusé. Seul un résident fait le lien : « C’est le film qui a été fait sur nous ! », lâche-t-il aux autres en descendant les escaliers pour s’y rendre. Il est 15h30.

Tourné en avril 2016, le film a effectivement pour décor le foyer social Saint-Just, situé à 200 mètres des hautes tours de verre du Palais de Justice, flambant neuf. Le centre est géré par l’association Coallia, et héberge entre autres, travailleurs immigrés, demandeurs d’asile et personnes en réinsertion.

Le palais de justice non loin du foyer Saint-Just, dans le 17e arrondissement de Paris

« Ne pas travestir la réalité »

En se focalisant sur la vie des sans-papiers à Paris, le réalisateur Jonathan Millet entend « raconter la crise migratoire à travers une histoire, un point de vue », celle d’un migrant camerounais qui s’est rendu illégalement à Paris dans l’espoir de retrouver son grand frère, parti avant lui, et dont il est sans nouvelle depuis un an. Sur neuf jours de tournage, trois se sont déroulés dans les couloirs du foyer. « Je voulais trouver un lieu qu’on ne voit pas souvent au cinéma », explique le réalisateur, qui s’active au sous-sol pour aménager la salle de projection avant la diffusion.

Jonathan Millet n’a pas seulement voulu un endroit authentique. Hormis le personnage principal du film – l’acteur professionnel Yann Gaël – presque tous les personnages du court-métrage sont des résidents du foyer Saint-Just. Des non-comédiens. Aucun d’entre eux n’avait déjà mis les pieds sur un plateau de cinéma. « C’est un choix assumé », précise le réalisateur. « Tourner avec des non-professionnels, c’est veiller à ne pas travestir la réalité, à ne pas montrer une image trop belle de ce qu’ils pourraient vivre ».

Pendant 6 mois, l’équipe du film a fait des allers et venues au foyer, pour effectuer des repérages, préparer les plans. « Ça n’a pas toujours été simple. Parfois, on est 40 personnes au même endroit pour tourner une scène dans une chambre, par exemple. Et là, le locataire de la pièce vous dit : ‘Ah non, en fait, aujourd’hui, c’est pas possible’…. Mais de manière générale, tout s’est bien passé ». Certains comédiens acquiescent – bien que nuançant l’enthousiasme général : « Enfin, on ne rigolait pas beaucoup pendant le tournage. Il fallait que ce soit rapide et carré. On avait un peu la pression », précise Doumia, l’un des figurants, Ivoirien. « On rigolait après ».

« Le film est le miroir de leur vie, d’une voie parfois sans issue »

Et projeter le film, une fois achevé, devant ses figurants novices, était une évidence pour l’équipe du film. « J’ai fait un court-métrage qui s’ancre dans le quotidien des sans-papiers, et c’est le quotidien de tous ceux qui sont dans la salle aujourd’hui », confie encore Jonathan Millet.

L’un des acteurs professionnels du film, Emilio, arrive au foyer pour la projection

À 16h, une quarantaine de personnes ont pris place dans la petite salle de cinéma. Jonathan Millet paraît soulagé : « J’avais peur que les gens ne viennent pas…. On ne peut jamais savoir à l’avance », explique-t-il en serrant quelques mains familières. Des figurants, des résidents, des amis d’amis, des militants de la cause sans-papiers prennent place. Certains vont se voir pour la première fois à l’écran, d’autres sont là par curiosité, « pour voir comment on montre leur foyer ».

Dans la salle, l’écran géant installé à côté d’un réfrigérateur, semble capter toute l’attention du public : pas un bruit ne résonne au moment où les lumières s’éteignent. Toute la séance se déroulera sans bruit. Quelque vingt minutes plus tard, au générique de fin, le silence n’est toujours pas rompu. « C’était un peu pesant », concède le réalisateur à la sortie du film. « Certainement parce que le film est un miroir de leur vie, d’une voie parfois sans issue ».

Mais peu à peu, les langues se délient. Juste après la projection, le réalisateur invite les spectateurs à prendre la parole, partager leur sentiment, leur réaction. Les mains se lèvent. On pose des questions sur le tournage, sur la portée politique du film. « Que doit-on comprendre à la fin exactement ? », demande l’un. « Pourquoi l’acteur principal n’est pas un sans-papier aussi ? », questionne un autre.

« Montrer ce qu’est l’immigration, qui sont les sans-papiers »

À 17h30, alors que le débat suit son cours, l’appel à la prière retentit soudain dans les couloirs du foyer couvrant la voix du réalisateur et des intervenants. Quelques spectateurs filent discrètement pour rejoindre la salle d’où résonne l’appel du muezzin. Plus tard, en début de soirée, certains « acteurs » s’essaient au jeu de l’interview. « C’est la première fois que je joue dans un film. J’aimerais bien continuer ! », lâche Moussa, un des figurants, de nationalité malienne. « Ça m’a fait du bien de tourner dans ce film… Je suis immigré, et je pense qu’il faut nous montrer, montrer la difficulté d’avoir des papiers, un travail… »

Mamadou, président du collectif des sans-papiers du 17e arrondissement, est présent lui aussi. Il n’a pas joué dans le film mais a aidé au casting. Ému, il remercie le réalisateur « d’avoir donné de la visibilité aux sans-papiers » et à la cause qu’il défend. « C’est un film important. On montre ce qu’est l’immigration, ce que sont les sans-papiers. Ce sont des gens avec qui tu partages le travail, les lieux publics, les écoles », martèle-t-il.

Il est 19h, Jonathan Millet et son équipe remballent le matériel, replient l’écran et s’attardent encore un peu avec des figurants et résidents. À l’entrée du foyer, l’affichette est toujours là. Après l’avoir lue, une femme, qui vient d’arriver, demande si un autre film est prévu ici. Elle dit être au courant du précédent tournage : « [L’équipe du film] part déjà ? Vous savez s’ils reviendront ? », dit-elle en riant. « Sortir du foyer et devenir une star de cinéma, c’est peut-être ça la solution pour moi ! »

Le réalisateur du film, Jonathan Millet, dans la salle de projection aménagée.

Par  Charlotte Boitiaux