France : Aulnay-sous-Bois : les mères en alerte

 Aulnay-sous-Bois : les mères en alerteAïssa Sago, fondatrice de l’Association des Femmes Relais. © Catalina Martin Chico

Elles se nomment Aïssa, Rana, Amina… et vivent à Aulnay-sous-Bois. Depuis le viol présumé de Théo lors d’un contrôle de police musclé, elles n’ont cessé d’appeler au calme et de réclamer justice. Pour leurs enfants. Reportage.

Dès qu’elle voit passer une voiture de police dans le quartier ou entend une sirène, Aïssa Sago, fondatrice de l’Association des Femmes Relais d’Aulnay-sous-Bois, adjointe au maire (LR) depuis 2014 et mère de quatre fils, sent en elle une irrépressible angoisse monter : « J’appelle immédiatement mes garçons pour vérifier que tout va bien, confie-t-elle. J’ai toujours peur qu’un contrôle de police tourne mal. Avant, je me disais que seuls étaient visés les jeunes qui posaient problème. La police est là pour nous rassurer. Aujourd’hui, comme tant d’autres parents du quartier, j’en ai une peur bleue. Même si je ne fais pas d’amalgame et que tous les policiers n’ont pas des méthodes odieuses et violentes. »

« NOUS COMPRENONS LE SENTIMENT D’HUMILIATION ET D’INJUSTICE QU’ÉPROUVENT NOS ENFANTS. »

Au côté d’Aïssa, dans le local chaleureux de l’association de femmes qu’elle a fondée il y a dix-sept ans au cœur de la cité de la Rose-des-Vents, ses collègues Rana, Zinnath, Meral et Amina partagent la même inquiétude. La même colère aussi. « Nous comprenons le sentiment d’humiliation et d’injustice qu’éprouvent nos enfants, explique Rana. On ne dit pas que tous les jeunes des quartiers sont des saints, loin de là, mais ce ne sont pas les dealers qui sont arrêtés, comme si la police en avait peur. Au lieu de ça, on interpelle des garçons comme Théo qui n’ont rien fait. »

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Aïssa Sago entourée de ses collègues Amina, Rana et Meral. © Catalina Martin Chico

Chacune connaît des jeunes, voisins ou parents, qui ont été insultés, rudoyés lors d’un énième contrôle « alors qu’ils sortaient simplement de chez eux pour aller en cours ou rejoindre des amis, raconte Aïssa. Les insultes comme ‘bamboula’ ou ‘babouin’ sont tristement banales et sont évidemment vécues comme des provocations ».

« LA JUSTICE DOIT FONCTIONNER DES DEUX CÔTÉS. »

Depuis le viol présumé de Théo, ami de l’un de ses fils, l’élue et son escouade de mères ont organisé la marche des mamans en soutien au jeune homme. Elles tentent ainsi de préserver le calme et de « casser les préjugés des deux côtés » en discutant avec les jeunes en colère et les institutions. « Nous avons rencontré la commissaire adjointe, explique Aïssa, elle a semblé très réceptive. » Une lueur d’espoir pour ces femmes hantées par la crainte d’une bavure policière et d’émeutes qui anéantiraient leurs efforts. « Il est indispensable que la justice, que beaucoup dans le quartier estiment à deux vitesses, fasse son travail, insiste Aïssa. Nous réclamons la vérité et refusons l’impunité si la déontologie n’a pas été respectée par des policiers. La justice doit fonctionner des deux côtés. »

Et après ? À l’image de Rana, nombreuses sont celles qui réclament le retour de la police de proximité : « Il y avait un réel lien entre les jeunes et ces policiers-là, se souvient cette mère de trois enfants. Ils se parlaient, se connaissaient, jouaient au foot ensemble. Ça ne réglait pas tout comme par miracle mais cela empêchait que les rapports entre les jeunes et les policiers ne dégénèrent. » C’est indispensable, confirme Aïssa qui « sent une dangereuse vendetta monter entre jeunes et certains policiers ». Autour d’elle, les mères des quartiers Nord d’Aulnay-sous-Bois, solidaires de la famille de Théo, restent mobilisées pour maintenir le calme dans la cité. Mais, leur portable à la main, elles sont, du matin au soir, « terrorisées à l’idée qu’il arrive à leurs fils ce qu’a subi le jeune homme ».

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 24 février 2017.