Macky Sall : Choix et Soutien de Paris. Par Chérif Ben Amar Ndiaye

Après la visite de travail effectuée à Paris et le séminaire intergouvernemental France-Sénégal tenu à Matignon le 24 juillet 2015, à la suite de la table ronde des investisseurs français pour le compte du Plan Sénégal Emergent organisé à Dakar autour du Président Macky Sall le 26 juin dernier, Paris  amorce son redéploiement au Sénégal. Mais derrière les accords de coopération économique, un discernement intelligent est nécessaire, pour disséquer les contours politiques sous-jacents à ces rencontres bilatérales.

MACKY-SALL-HOLLANDE-700x434Mes fréquentations et relations avec les responsables politiques français, plus particulièrement avec le Parti socialiste français, m’ont permis de recueillir des indiscrétions et des supputations qui dévoilent ce qui n’est pas dit et éclaire ce qui n’apparait pas à la lumière des feux médiatiques. Mes analyses et conclusions m’édifient sur un point de certitude : Paris vote Macky.

Il m’a été rappelé que le signal, pour signifier à tous les intervenants français au Sénégal que le choix et le soutien de la France se portaient sur Macky Sall, a été déjà donné le 25 Mars 2008. Jour où Macky Sall a reçu le grade de Grand Officier de la Légion d’honneur française et année décisive qui a marqué sa rupture avec Abdoulaye Wade. Quatre ans plus tard il devenait le quatrième Président du Sénégal. L’Ambassadeur Jean Christophe Rufin qui lui remettait la décoration, trahissait sa pensée en affirmant avec un grand sens diplomatique : » La France respecte le Sénégal comme un Etat souverain et n’entend interférer en rien, ni avec ses Institutions, ni avec sa vie politique qui ne regarde que son peuple ». Paris venait ainsi de marquer sa rupture avec le clan Wade qui avait tant fait souffrir les intérêts français par ses frasques « monarcho-nationalistes » et ses penchants vers le golfe arabo-persique. Il venait aussi de marquer sa défiance à Idrissa Seck jugé  très nationaliste et   « américanophile » malgré son combat épique contre les Wade. Son choix porté sur Léna Séne issue des grands lobbies américains, pour être sa directrice de campagne, a fortement irrité les français. La décision de Paris s’est ensuivie des sollicitudes feutrées mais décisives, sur les plans politiques et financiers, pour doter le candidat Macky des moyens puissants qui l’aideront à coiffer tout le monde. Son refus de se concentrer sur  la lutte contre le « 3ième mandat de Wade » et sa détermination à privilégier sa campagne dans le Sénégal profond, expliquerait sa posture fortement inspirée par Paris qui lui aurait assuré la tenue certaine des élections. Paris maître d’œuvre de la stratégie politique de Macky sall en 2012, c’est aujourd’hui ma ferme conviction.

Macky entreprit dès son élection de rendre la politesse pour ne pas dire la monnaie à ses souteneurs français. Le choix de l’hexagone pour son premier voyage officiel hors du continent africain (sa première visite en Gambie faisait dans la diversion) était plus que naturel, il venait rassurer les français de la fidélité sénégalaise au maintien et à la défense de leur pré-carré. Nicolas Sarkozy qui avait été le premier chef d’Etat européen à saluer son élection, s’empressa de signer de nouveaux accords de défense et gratifia le Président sénégalais d’un important appui financier pour l’aider à faire face, devant le désastre budgétaire qu’avait laissé son prédécesseur, à ce nouveau contexte socio-politique. La France avec Macky pouvait retrouver de la sérénité et de la confiance avec le nouvel occupant du palais de Léopold Sédar Senghor partisan et artisan historique et inégalé de la « chasse-gardée » française en Afrique et au Sénégal.

Les intérêts français au pays des « toubabs d’Afrique » sont considérables et constituent un lourd enjeu géopolitique et économique pour l’ancien colonisateur. La France est de tous temps le premier partenaire économique du Sénégal, tant sur le plan commercial que sur celui de l’investissement. Ses échanges avec notre pays ont toujours constitué son plus fort excédent en Afrique de l’Ouest. Mais sa part de marché subit régulièrement une nette régression dans le pays depuis une dizaine d’année correspondant à l’ère Wade. La France premier fournisseur voit sa courbe de régression croiser la montée en puissance de la Chine qui serait devenue le premier fournisseur du Sénégal depuis 2013. Même si le partenaire français reste le premier investisseur (40% des investissements directs étrangers) grâce à la forte présence des entreprises françaises : le Groupe Orange, le cimentier VICAT, Eiffage, Groupe CASTEL, TOTAL,CASINO, SANOFI, BICIS, SGBS, AXA, CANAL+, GROUPE ACCOR , AIR France, CORSAIR, BOLORE, NECOTRANS et DELMAS…( représentant ¼ du PIB et 15000 emplois). Sans être exhaustif, cette prédominance française devrait se renforcer durant les prochaines années avec l’option préférentielle du régime pour ses amis français privilégiés. Pour exemple : Le Groupe ERAMET, NECOTRANS, ATOS, le GROUPE  AVRIL/COPEOL(filière arachidière, projet TER) ont été plutôt des choix du prince. D’autres s’en suivront en droite ligne des retombées bénéfiques des politiques d’émergence inspirées et promues par les lobbies économiques et financiers français notamment au Gabon, en Côte d’ivoire et au Sénégal. C’est bien pourquoi le PSE a supplanté le YONOU YOKUTE, pour asseoir la stratégie de reconquête de l’influence et de la prééminence de la France  qui doit être « à la droite du père ». Toute la politique multiforme et multisectorielle de Macky Sall, doit être scrutée à travers ce prisme. Il a été choisi pour cette politique.

Les indiscrétions et supputations glanées dans les « milieux autorisés » français, orientent mon regard sur les perspectives politiques sénégalaises et m’apportent un éclairage clairvoyant si l’on peut dire, sur des événements à venir. Le Président Macky Sall va trouver le moyen de respecter indubitablement sa promesse de réduction de son mandat. C’est une stratégie électorale pour recueillir un plébiscite qui lui serait bénéfique pour les futures échéances électorales (législatives et présidentielles) qui tenez-vous bien, seront très certainement couplées. Par ailleurs, le PS de Tanor Dieng  se disposerait, sur injonction de ses amis du PS français, à faire l’impasse sur 2017, en faveur de Macky Sall et en échange d’une plus grande participation gouvernementale et parlementaire à de hauts niveaux, durant le 2e quinquennat. Ces informations ne sont pas de simples affabulations, ce sont des prospectives politiques définies et élaborées par des officines de lobbying spécialisées dans l’édification d’une nouvelle politique de partenariat entre la France et L’Afrique. C’est le concept de « L’Africa-France » qui n’est pas encore émergent mais qui commence à éclore à travers les nouvelles options stratégiques de l’interventionnisme français en Afrique. Une nouvelle Françafrique  qui miserait non pas sur des dictateurs, mais sur des démocrates appuyés par des réseaux d’ONG qui luttent contre la corruption et pour les droits de l’homme et le développement. La visite de Laurent Fabius à YA N’EN MARRE en fait illustration. Dans une perspective politique qui garantirait les intérêts français dans l’ère de la mondialisation où la France cherche à garder son rang de puissance occidentale. L’impérialisme est révolu dans ses réalités néocoloniales et de guerre froide, il est devenu mondialiste et multilatéraliste avec l’irruption de nouvelles puissances aux dents longues comme la chine et les pays du golfe. Et la compétition est rude et impitoyable.

Dans cette nouvelle configuration de la politique française en Afrique, Macky Sall, Alassane Ouattara et Ali Bongo sont les pions essentiels qui méritent d’être soutenus pour garantir la stabilité et la prospérité au bénéfice des « terres françaises » de l’Europe. Tous ceux qui, par leurs dérives antidémocratiques installent l’instabilité, seront laissés à eux-mêmes, pour être chassés par les révoltes populaires, soutenues ou tolérées par la France. Blaise Compaoré a compris la leçon. La prime démocratique est exigée maintenant pour bénéficier du parapluie militaire français contre le terrorisme et de l’aide conséquente au développement économique de l’AFD.

La France  post coloniale avait préféré Senghor à Mamadou Dia le nationaliste et à Cheikh Anta Diop l’Africaniste. Senghor a passé le relais à Abdou Diouf jugé plus sûr voire plus docile que Moustapha Niass ou Babacar Ba aux tempéraments plus orgueilleux donc plus nationalistes. Abdoulaye Wade est venu bouleverser leurs calculs et bien qu’il ait voulu se racheter et leur « offrir » son fils métis franco-sénégalais, ses graves erreurs  lui ont été reprochées. Appeler à l’intervention militaire française pour être sauvé d’une grave dérive antidémocratique, a été fatal à Karim Wade. La France ne vient plus sauver des Présidents africains aux velléités dictatoriales. L’exemple de Gbagbo est éloquent. Tout au contraire, elle vient rétablir la stabilité qu’incarnait Alassane Ouattara, pour préserver ses intérêts. De Gaule avait raison, la France n’a pas d’amis mais des intérêts. Aujourd’hui au Sénégal, ses intérêts sont incarnés et sauvegardés par Macky Sall. Ce qui explique en partie notre sous-développement pérenne, c’est justement que les intérêts de la France ne sont pas forcément ceux du Sénégal. Reste à savoir si le peuple sénégalais se laissera toujours imposer un « gouverneur de la France » au Sénégal. Sa maturité citoyenne et démocratique n’est peut-être pas encore à ce niveau.

Chérif Ben Amar Ndiaye

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