Migrants : le bras de fer Maroc-Espagne

Les entrées de migrants en Europe via le Maroc ont explosé depuis le début de l’année 2018. Entre Madrid et Rabat, la question migratoire est devenue centrale. Chacun fait face à son agenda, ses besoins et sa politique intérieure.

Lors d’une expulsion collective du 23 août, l’Espagne a renvoyé vers le Maroc 116 migrants africains entrés clandestinement la veille dans l’enclave espagnole de Ceuta (Sebta). Une pratique rarissime : la dernière expulsion organisée avait eu lieu en 2004. Cette décision, prise dans le cadre d’accords de réadmission signés à Madrid en 1992 selon les autorités madrilènes, a vite été critiquée par des ONG ibériques, à l’instar de Caminando Fronteras, et ont même posé la question de la légalité de la procédure.

En octobre 2017, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Espagne pour avoir renvoyé immédiatement vers le Maroc, sans aucune décision administrative ou judiciaire, des migrants arrivés dans l’enclave espagnole de Melilla. Madrid était au moins censée examiner si des demandeurs d’asile figuraient parmi les personnes renvoyées. Le 23 août dernier, les personnes expulsées ne sont restées que 24 heures sur le territoire espagnol. Bien peu pour un contrôle assidu.

Politique intérieure

Durant l’été 2018, la presse espagnole a largement insisté sur les arrivées de migrants depuis le Maroc. Depuis le début de l’année, 27 994 migrants sont arrivés sur les côtes espagnoles depuis le Maroc, d’après les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). La nation ibérique dépasse ainsi l’Italie comme pays d’entrée en Europe. 313 personnes sont décédées au large des côtes espagnoles en tentant la traversée. Les autres routes de migration, celle des Balkans et celle à l’est de la mer Méditerranée, se ferment. La voie passant par le Maroc et l’Espagne est donc davantage empruntée.

Les partis espagnoles de droite tirent déjà à vue sur la politique migratoire de l’actuel gouvernement de gauche de Pedro Sánchez, en fonction depuis début juin, jugée plus souple. Si Podemos, la coalition de gauche radicale, considère le Maroc comme trop peu respectueux des droits humains pour traiter avec lui sur la question migratoire, la droite espagnole, elle, accuse le prétendu laxisme de l’actuel gouvernement de pousser Rabat à relâcher la pression sur les flux.

Pressions européennes

Depuis plusieurs années, l’Europe espère que le Maroc accepte un accord qui permettrait de remettre aux autorités marocaines des migrants non-marocains arrivés par le royaume. « Les négociations ne se sont jamais vraiment arrêtées », nous explique une source associative marocaine, proche du dossier.

Le 28 juin, Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, recevait à Rabat son homologue espagnol, Josep Borrell. Les pays membres de l’Union européenne venaient de s’entendre pour demander à leurs voisins maghrébins d’accueillir des « plateformes régionales de débarquement », dans lesquels pourraient être placés des migrants secourus en mer. Bourita pointe alors des « solutions faciles » et des « mécanismes contre-productifs. »

Côté marocain, le refus d’accueillir des centres de débarquement ne signifie pas un abandon de la coopération sécuritaire. « Au contraire, en refoulant les migrants le 23 août, cela sous-entend un feu vert de Rabat et peut indiquer un réchauffement de la coopération», souligne la même source associative. Et depuis début août, plus de 1700 ressortissants subsahariens massés dans le nord du Maroc, à proximité des frontières espagnoles et de la côte, ont été appréhendés par les autorités marocaines.

Soutien financier

« Le Maroc ne veut pas endosser seul un rôle de gendarme qui coûte cher dans les faits et peut avoir un impact diplomatique, comme par exemple auprès des pays ouest-africains », explique notre source associative proche du dossier.

Rabat aurait-elle ainsi demandé un soutien financier ? La presse espagnole s’est en tout cas faite l’écho de demandes marocaines durant l’été. Quoi qu’il en soit, Pedro Sánchez et la chancelière allemande Angela Merkel se sont rencontrés le 11 août en Andalousie, à quelques kilomètres des côtes marocaines. Ils ont montré leur bonne entente concernant la question migratoire et ont notamment émis le souhait que le Maroc bénéficie d’un plus grand soutien européen comme pays d’origine et de transit de migrants.

« Nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour débloquer une série de ressources économiques qui permettent au Maroc […] d’être beaucoup plus efficace dans le contrôle de ses frontières, au départ des embarcations vers les côtes espagnoles », a ainsi expliqué Pedro Sánchez. Le parti d’extrême gauche Podemos s’est, lui, immédiatement opposé à cette idée. Chaque capitale jongle ainsi avec ses propres problématiques de politique intérieure ou de diplomatie.

Mais du côté de la droite espagnole, les accusations ne s’arrêtent également pas là. Selon certaines d’entre elles, le Maroc use de la question migratoire durant des négociations. Récemment, la reconduction de l’accord de pêche entre le Maroc et l’Union européenne, qui concerne directement Madrid, a été l’objet de longues discussions. « L’Europe devient une forteresse et cherche à déléguer au maximum la lutte contre l’immigration. Les pays du sud cherchent à en tirer profit comme ils peuvent », explique notre source associative.