Révélateur d’impuissance : les bourdes d’Hollande sur l’imam de Brest

© Fred Tanneau/AFP | L’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa
Contrairement à l’affirmation de François Hollande, la mosquée fondamentaliste de Brest n’est pas fermée. Un cafouillage qui illustre l’impuissance de l’État face au salafisme.

Volontairement ou non, François Hollande a induit en erreur 3 millions et demi de téléspectateurs qui ont écouté le « dialogue citoyen » jeudi 14 avril au soir sur France 2.

 

Interrogé au sujet des prêcheurs salafistes, et en particulier de l’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa, le président a déclaré : « Il est français, il ne peut pas être expulsé, mais son lieu de ‘prière’, ou plutôt son lieu de ‘haine’, a été fermé. Il est inquiété, il est poursuivi, il est dans une procédure judiciaire. Nous devons lutter contre ces prêcheurs, ces partisans de la haine qui induisent la radicalisation ».

Faux : l’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa n’est pas « poursuivi », ni même « dans une procédure judiciaire ».

Faux encore : la mosquée du Centre culturel et islamique de Brest (CCIB) n’est pas fermée, comme l’a vérifié le journaliste du « Télégramme de Brest » Hervé Chambonnière.

S’il ne s’agit pas d’un double mensonge, cette double « erreur » soulève au moins deux questions :

– Comment le chef de l’État peut-il être à ce point coupé de la réalité du terrain sur un sujet qui touche à l’emprise de l’islam radical sur les jeunes musulmans ? N’est-il pas censé être l’homme le mieux informé sur la question après que la France a été si cruellement frappée par cette idéologie ces derniers mois ?

Il est vrai que cette mosquée a été perquisitionnée immédiatement après les attaques du 13 novembre dernier et la mise en place de l’État d’urgence. Mais la police n’y a rien trouvé. Ni armes, ni documents appelant à la violence. L’Imam Houdeyfa n’a donc logiquement pas été « inquiété ».

Ses nombreux prêches diffusés sur YouTube avaient ému l’opinion, en particulier celui prononcé en 2014 devant des très jeunes enfants, dans lequel il les exhortait à ne pas jouer d’instrument de musique, ni même en écouter, au risque de se voir « changés en singes et en porcs ». Ce qui pouvait, en temps normal, relever du grotesque prenait une dimension nouvelle après la tueurie du Bataclan, lors d’un concert de rock.

Aujourd’hui, comme le souligne le Télégramme de Brest, l’imam a expurgé sa chaine YouTube des vidéos les plus controversées. On n’y trouve plus que des imprécations contre le terrorisme, et même une invitation aux hommes musulmans à « obéir à leur épouse » lorsque celle-ci est submergée par les tâches ménagères… Bref, un imam féministe.

L’imam lui-même joue l’arlésienne. Il n’est quasiment plus présent à la mosquée du CCIB, au grand désolement de ses ouailles, expliquant sur Facebook qu’il ne peut répondre aux très nombreuses sollicitations, car il a « comme tout le monde, [ses] responsabilités ». Bref, il tente (provisoirement ?) de se faire oublier.

« Prêcheur de haine » est abusif

– La deuxième question est encore plus sérieuse. C’est celle de l’impuissance de l’État face au salafisme qui serait, selon le Premier Ministre Manuel Valls, « en train de remporter la bataille idéologique et culturelle » auprès de la communauté musulmane.

Si François Hollande a fixé un devoir de « lutte contre les partisans de la haine qui induisent la radicalisation », le gouvernement frappe dans le vide.

Toute la difficulté de cette lutte vient du fait qu’il est abusif, et même contre-productif, de parler de « prêcheurs de haine », comme si certains imams, à l’image d’Abou Houdeyfa, appelaient ouvertement leurs coreligionaires à s’en prendre aux non-musulmans, ou aux « mauvais musulmans ». Au contraire, cet imam a régulièrement dénoncé les dérives terroristes dans des vidéos qui, elles, sont toujours disponibles.

L’imam Abou Houdeyfa s’est même fendu d’un communiqué, sur sa page Facebook, en forme de réponse à ses nombreux détracteurs dans laquelle il s’estime victime d’amalgame. N’ayant à aucun moment enfreint la loi, il se dit victime de caricature. Bientôt Hollande et tous ceux qui estiment que ce type de discours « induit la radicalisation » se verront traités d’islamophobes.

Abou Houdeyfa ne fait en effet que prendre au pied de la lettre certains « hadiths ». On peut dénoncer leur dangerosité, mais guère plus. L’expulser, comme cela a été fait pour 80 imams, selon le Président (le chiffre fait aussi l’objet de controverse), est impossible, puisqu’il est Français. Le faire taire serait violer son droit à la liberté d’expression, voire à la liberté de culte garantie par la Constitution.

L’État est donc aujourd’hui impuissant contre la plupart des imams salafistes de nationalité française. Du reste, il faudrait définir l’adjectif « salafiste » avec précision. Abou Houdeyfa lui-même rejette cette étiquette, tout comme celle de « tablighi » (c’est même l’illustration de sa page Facebook). Dans sa recherche actuelle de discrétion, il semble même avoir abandonné les vêtements traditionnels auxquels on reconnait en général les salafistes.

Ensuite, et c’est toute la difficulté avec le fondamentalisme musulman, quelle que soit son inspiration, il ne prêche pas ouvertement la haine, et encore moins la violence. Mais en rejetant vigoureusement des comportements qui font partie des mœurs que notre société occidentale considère normaux, comme le divertissement dans la musique ou le fait pour une femme de sortir de chez elle la tête découverte et parfumée, il prépare le terrain à la radicalisation de certains, et leur passage à l’action violente contre les « kafir » (les impurs), qu’ils soient ou non musulmans.

Le plus grave ce n’est pas que des religieux comme l’imam de Brest tiennent ce genre de discours, mais qu’ils soient autant écoutés et respectés. La page officielle d’Houdeyfa a plus de 237 000 abonnés. Tous ne sont pas forcément ses fidèles, mais cela donne une idée de son influence dans la communauté musulmane. Si le salafisme n’a peut-être pas encore gagné la « bataille idéologique », on ne peut plus parler de phénomène marginal.

Et, pour l’instant, le gouvernement n’a pas les moyens de contrecarrer cette influence délétère, sauf à contrevenir à l’État de droit.

Question : la réponse ne doit-elle pas venir de la communauté musulmane, qui est directement menacée par cette radicalisation ?

C’est peut-être ce qu’aurait dû dire François Hollande jeudi soir, au lieu de donner au pays l’illusion qu’il agissait efficacement contre l’islamisme radical.