Rugby féminin – Safi N’Diaye : « Refuser une sélection en équipe de France parce que votre employeur ne vous libère pas, c’est compliqué ! »

Ne ratez pas leur premier match, le 9 août face au Japon ! Les joueuses françaises sont attendues en Irlande pour la Coupe du monde féminine de rugby. Nous avons rencontré à Paris, Chez Simone*, les ambassadrices Adidas Safi N’Diaye et ses coéquipières Marjorie Mayans et Lenaïg Corson. Pour la première fois, elles vont porter le nouveau maillot extérieur des équipes de France avant les joueurs masculins. On en a profité pour parler rugby (mais pas que) avec Safi N’Diaye, 29 ans, aussi énergique dans la vie que sur le terrain.

 

ELLE.fr. Comment êtes-vous arrivée au rugby ?
Safi N’Diaye. J’ai commencé par faire du basket, parce que j’étais grande, issue d’une famille de sportifs et que j’aime bien les sports collectifs. Et puis les basketteurs me faisaient rêver dans ma jeunesse : Michael Jordan, LeBron James, Kevin Durant, enfin c’est toujours le cas ! (rires). Du coup, ça s’est bien passé, j’ai évolué, mais je n’ai jamais ressenti le kiff que j’ai pu vivre au rugby. Quand j’avais 12 ans, j’ai rencontré par hasard un entraîneur de l’équipe de rugby qui m’a demandé : « Mais t’as quel âge ? Tu mesures déjà 1,80 m et tu es baraque, viens au rugby ! » J’ai répondu : « Mouais… bof… », mais je suis allée assister à un entraînement. J’ai découvert une bande de filles complètement barjots, avec une patate impressionnante, un esprit chaleureux. Elles m’ont dit : « Mardi, on joue contre les garçons, tu viens. Ne t’inquiète pas, on t’amène des affaires, tu prends le ballon et tu cours le plus vite possible » et je me suis éclatée ! Depuis, c’est toujours ma bande de copines : elles m’ont vue quitter le club, partir en équipe de France, à Montpellier, elles me suivent toujours, c’est une très belle histoire !

ELLE.fr. Vous êtes éducatrice spécialisée à côté ? Côté statut, vous n’êtes pas pro ?
Safi N’Diaye. Non, nous ne sommes pas pros ! Je dis souvent qu’on est pro dans l’entraînement car on s’entraîne comme des pros, deux fois par jour, sauf qu’on ne vit pas de notre sport. Donc je suis éduc spé à côté, dans un ITEP (Institut thérapeutique éducatif et pédagogique) à Montpellier. Je m’occupe de jeunes de 6 à 20 ans avec des troubles du comportement.

ELLE.fr. Cet été, avec la coupe du monde, comment ça se passe ?
Safi N’Diaye. Ah ben, ils ne me voient pas ! Le centre est fermé en août, ça tombe bien, sinon c’est congés sans solde, congés, on s’organise…
 
ELLE.fr. Justement, quelles lignes faut-il faire bouger au rugby féminin ? 
Safi N’Diaye. On est le dernier sport collectif à ne pas être pro ! Donc c’est vrai que, quand on voit les footballeuses ou les basketteuses, qui ont tout mis en place pour s’entraîner, ça fait rêver. Il y a des filles qui lâchent parce que certains employeurs ont embauché une factrice ou une comptable, pas une rugbywoman ! Donc il faut aider les joueuses : imaginez, refuser une sélection en équipe de France parce que votre employeur ne vous libère pas, c’est compliqué ! C’est nécessaire de structurer et d’organiser les choses pour que les filles aient des doubles projets convenables.

« J’AI ÉTÉ CONFRONTÉE À DES CLICHÉS, GENRE ON EST DES BONSHOMMES, ON EST MASCULINES, ON EST TROP MUSCLÉES. »

ELLE.fr. Que diriez-vous aux filles qui hésiteraient à se lancer dans le rugby ?
Safi N’Diaye. Qu’elles vont se régaler et s’amuser ! Elles sont hyper protégées, qu’elles ne s’inquiètent pas de se faire mal. Et puis aussi, qu’elles n’aient pas peur, parce qu’au début quand elles sont petites, elles jouent avec des garçons… mais elles vont devenir des princesses, les chouchous sur le terrain.

ELLE.fr. Justement, vous avez déjà été confrontée à du sexisme ?
Safi N’Diaye. Non, mais au début, quand je disais que je faisais du rugby féminin, j’ai été confrontée à des clichés. Genre on est des bonshommes, on est masculines, on est trop musclées, on est trop ceci, trop cela, etc. Mais moi, je m’en fous ! Ça me fait rire parce que pour moi c’est un complexe de gens qui se sentent mal dans leur peau. Mais c’est vrai qu’on s’entraîne autant et que ce n’est pas reconnu du tout. Les gens pensent parfois qu’on ne joue pas au rugby sauf qu’on fait le même sport : on a le même ballon, le même terrain, les mêmes dimensions, les mêmes règles…
 
ELLE.fr. Si je vous disais que demain, vous êtes nommée ministre des Sports, quelle serait votre première mesure ?
Safi N’Diaye. Je ferais en sorte qu’en France, être sportif devienne une marque de réussite, de valorisation, d’émancipation pour les femmes et pour les jeunes. Je ferai tout pour que le sport devienne une marque de fabrique française et qu’on se dise : quand on veut faire du sport, on va en France ! Que ce soit valorisé, qu’on ne voit pas aux JO des gens qui galèrent à se payer leurs équipements alors qu’ils sont champions olympiques et qu’ils font briller la France ! Ça, ce serait une de mes premières mesures ! (rires) Et puis, il faudrait que soit créée dans toutes les écoles une section sportive. Pour qu’un gamin qui n’est pas bon en maths mais explose en sport ait des voies de sortie.

ELLE.fr. Vous avez un rituel anti-stress avant un match ?
Safi N’Diaye. La musique, la musique, la musique, la musique ! En ce moment, c’est Kendrick Lamar à fond. Sinon, dans ma play-list, il y a de tout : si j’ai envie de me poser ou si j’ai envie de m’énerver un peu avant le match, il y a vraiment le choix !

ELLE.fr. Une sportive qui vous inspire ?
Safi N’Diaye. Serena Williams, je l’adore ! Parce qu’elle s’est battue contre beaucoup de clichés, que ce soit parce que c’est une femme ou parce qu’elle est black. Elle a tout gagné et on la critique encore ! Elle est enceinte et on lui cherche encore des noises ! C’est bon… pour moi, elle est vraiment au-dessus. Je la suis sur Twitter, elle me tue (rires).

ELLE.fr. Un conseil pour les lectrices ?
Safi N’Diaye. Je dirais aux femmes – qu’elles viennent de n’importe quel milieu, qu’elles soient sportives ou pas – de se bouger, de s’amuser, de s’éclater : elles seront automatiquement mieux dans leur peau. Si j’ai un conseil, c’est ça ! Parce qu’il y a trop de « je suis comme ci, pas assez comme ça, je suis vieille/grosse/moche, etc. » Quand on fait du sport, on secrète de l’endorphine, et après on est mieux !

ELLE.fr. Est-ce qu’on vous reconnaît dans la rue ? 
Safi N’Diaye. Parfois, ça dépend. Quand je vais dans des milieux très rugby, oui ! Après, pas plus que ça, je ne suis pas trop embêtée (rires). Je change de coupe tout le temps en plus et je joue avec un casque bleu blanc rouge, donc il faut vraiment me reconnaître ! (rires)

ELLE.fr. Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques semaines du début de la compétition, vous êtes prête ?
Safi N’Diaye. On ne pense qu’à la Coupe du monde, on a vraiment hâte. Je compte les jours, il faut qu’on lâche les chevaux parce que, de préparation en préparation, à un moment, il faut y aller ! En plus, on voit les filles en ce moment jouer au foot avec l’Euro donc on a envie d’y être nous aussi !

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Toutes les infos sur la Coupe du monde féminine de rugby qui sera retransmise sur France Télévisions et Eurosport du 9 au 26 août 2017.