Ils étaient 180 000, venus de toute l’Afrique de l’Ouest entre 1940 et 1945. 180 000 Sénégalais, bien sûr, mais aussi Guinéens, Burkinabés ou encore Gabonais, engagés sur le théâtre des opérations de la Seconde Guerre mondiale. 180 000 à s’être battus pour la libération de l’Europe, contre le nazisme, pour la survie d’une certaine idée de la Liberté.
A travers 10 portraits, 10 parcours de vie représentatifs, nous avons choisi de rendre hommage à l’ensemble de ces combattants anonymes ou célèbres, qui ont décidé de se dresser pour la liberté et la dignité.
Les Tirailleurs sénégalais ont bravé les intempéries et la mort, engageant dans les champs de bataille toutes leurs forces contre le désastre. Voici 10 portraits de combattants afin que les nouvelles générations comme les anciennes puissent honorer le devoir de mémoire.
» Non, vous n’êtes pas morts gratuits. Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle, vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain ». LÉOPOLD SEDAR SENGHOR, Premier président de la République du Sénégal (1960-1980)
« Je suis heureux d’honorer les compagnons d’armes qui ont combattu dans d’atroces conditions et dont l’œuvre impérissable restera à jamais gravée dans notre mémoire collective. C’est un devoir de mémoire, le temps qui passe n’efface pas l’Histoire »
Le Président de la République, M. Macky Sall
LE GUINÉEN MAQUISARD Mamadou ADDI-BÂ, 1911-1943 – Guinée
Dans la région des Vosges, on se souvient de maquisards locaux et de leur refus de s’incliner face à l’ennemi. On se souvient aussi d’un Africain qui fut au cœur de ces combats.
Présent lors de la bataille de la Meuse, il est fait prisonnier le 8 juin 1940 et voit ses frères d’armes africains exécutés sous ses yeux. Il réussit cependant à s’évader et rejoint la résistance en s’engageant dans le maquis local des Vosges, dans l’Est de la France.
Mamadou Addi-Bâ s’inscrit dans l’histoire des Tirailleurs comme un soldat petit par la taille (1m55), mais grand par la bravoure. Celui que les nazis appelaient le “terroriste noir” est de nouveau capturé après la chute de son réseau “Délivrance” en 1943. Emprisonné à Epinal, mais résistant aux tortures infligées par la Gestapo, il est lâchement fusillé la même année.
Aujourd’hui son nom est présent sur le monument aux morts d’Epinal, ainsi que sur plusieurs rues des communes de la région.
L’INSOUMIS DE MÉKHÉ Doudou DIALLO Mamadou, 1918-2000 – Mékhé (région de Thiès)
Si l’on devait résumer la vie de Doudou Diallo par un verbe, “résister” serait probablement le plus approprié. Ce natif de Mékhé s’est en effet toujours battu contre toute forme d’oppression et d’injustice, quitte à faire d’importants sacrifices.
Stationnant dans la Somme, l’engagé Diallo est fait prisonnier le 21 juin 1940. Il est ensuite interné dans un camp de travail à Redon, en Bretagne. Malgré sa privation de liberté, son patriotisme le pousse à prendre contact avec les Forces françaises libres et à se lancer dans le sabotage des cargaisons. Alors que les Américains fraîchement débarqués de Normandie foncent sur la Bretagne, Doudou Diallo prend la place de son chef de groupe.
Après la guerre, il entretient le lien du souvenir de ces actes de bravoure en tant que Président de l’association des anciens combattants Sénégalais, dont il s’est battu, encore une fois,
pour la reconnaissance et le versement des pensions.
L’AVENTURIER DE CASAMANCE Bourama DIEME Charles Doudou Mamadou 1919-1999 – Casamance
De son village de Casamance aux différents pays qu’il a explorés au gré de ses missions militaires, la vie de Bourama Dieme a été placée sous le signe de l’aventure et l’intrépidité.
Né en 1919 dans un village de Casamance, Bourama Dieme a fait de sa vie un éternel voyage. A 20 ans, il s’engage dans le 16e Régiment de Tirailleurs sénégalais en Alsace-Lorraine. Là, ils sont faits prisonniers et transférés à Berlin. Mais l’Axe, par peur de contaminer la « race aryenne », les déplace dans les Landes en 1941.
Réputé invulnérable, Bourama Dieme parvient à s’évader en mars 1942 et rejoint Dakar trois mois plus tard. Il n’y restera pas pour autant : en août 1944, il prend part au débarquement de Provence.
Il s’engage par la suite sur différents théâtres de conflits du XXème siècle parmi lesquels l’Indochine, les opérations du Canal de Suez ou encore les opérations de maintien de la paix en Afrique avec les Nations Unies.
L’ADVERSAIRE DU TOTENKOP Moman DIOP, 1918-1940 – Sénégal – Guinée
Dans l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, la division SS Totenkopf est restée funestement célèbre pour sa brutalité.
Engagé volontairement en 1939, Moman Diop est intégré au 25ème bataillon de Tirailleurs sénégalais. En 1940, son régiment se retrouve au combat à Montluzin, échangeant le feu contre cette fameuse division Totenkopf. Projeté au milieu d’un combat sans merci, le tirailleur et son unité ont pour mission de défendre coûte que coûte le château du Plantin à Chasselay.
Victime de la barbarie racialiste nazie, Moman Diop meurt fusillé, à l’instar de 88 de ses frères d’armes tombés au champ d’honneur ce même jour. Tous reposent dans le tata* de Chasselay, érigé en leur mémoire par les habitants de la commune.
*Nécropole. Tata signifie littéralement « enceinte de terre sacrée » en wolof.
UN FILS DE SERIGNE DANS LES DARDANELLES Fallou FALL Mamadou,1896-1998
Dans la nécropole militaire dédiée aux combattants de la Première Guerre mondiale de la ville grecque de Thessalonique, on trouve de nombreuses nationalités. Malgaches, Indochinois, Nord-Africains, Sénégalais… les Tirailleurs de l’Empire étaient venus en masse pour prêter main-forte au trop peu connu “front d’Orient”.
Parmi eux, Fallou Fall, fils du Cheikh Ibrahima Fall, l’un des principaux théologiens du mouridisme au Sénégal. Après une éducation lettrée et rigoureuse, Fallou Fall est envoyé par le cheikh lui-même sur le front, afin de montrer l’exemple d’engagement et de vertu à suivre pour les Sénégalais.
Le fils du marabout est alors mobilisé parmi les Tirailleurs du front d’Orient. Son destin le mène sur les fronts de Turquie et de Grèce, combattant aux côté des troupes françaises jusqu’à la perte de toute trace de lui en 1916.
Il faut attendre 2008 pour que l’on retrouve sa sépulture à Thessalonique, aux côtés de celle de Idy Ahmet Sy, fils aîné de Cheikh El Hadji Malick Sy, grand propagateur de la Tidjanyia au Sénégal. Ils reposent ensemble avec 1200 autres Tirailleurs tombés durant la campagne des Dardanelles.
En 1944, la fameuse 2ème Division Blindée (DB) du Général Leclerc pénètre triomphalement dans Paris sous les acclamations de la population. Parmi ses troupes, on ne pouvait apercevoir qu’un seul soldat noir : Claude Mademba Sy.
Fils d’un commandant d’infanterie sénégalais, Sy devient pupille
de la nation à 9 ans. Engagé dans la 2ème DB du Général Leclerc,
c’est avec lui qu’il débarque à Utah Beach en 1944, en tant que membre d’équipage du char d’assaut “Pantagruel”. Il est alors le seul soldat colonial du régiment, les Noirs n’étant pas, selon le règlement militaire, autorisés à manipuler les blindés.
Lors de l’indépendance du Sénégal en 1960, il est mandaté par Léopold Sedar Senghor afin de mettre en place l’armée régulière sénégalaise. À sa mort en 2014, il est considéré comme l’un des derniers doyens des Tirailleurs sénégalais.
LE RESCAPÉ DE LA GRANDE GUERRE Abdoulaye N’DIAYE Mamadou, 1894-1998 – Thiowo
L’engagement d’Abdoulaye N’Diaye lors de la Première Guerre mondiale est d’autant plus capital qu’il a été le dernier des Tirailleurs rescapés de la “Grande Guerre”.
Lutteur, il se porte volontaire à la place des aînés de sa famille. Abdoulaye N’Diaye ne s’attendait alors pas à arpenter l’Europe sur de nombreux fronts. Son odyssée le mène pourtant en Belgique où il est blessé une première fois, puis à affronter les troupes Ottomanes lors de la campagne des Dardanelles. De retour en France, il est mobilisé dans l’enfer des tranchées de la Somme.
Blessé d’une balle dans la tête, il se dissimule parmi les morts sur le champ de bataille pour ne pas être repéré par l’ennemi. Il termine son service avec la fin du conflit en 1918.
C’est dans son village de Thiowor, au nord de Dakar, qu’il trouve la paix, à l’âge canonique de 104 ans. Décoré à titre posthume de la légion d’honneur, le vieil homme reste le symbole de toute une génération mobilisée sur les conflits mondiaux.
LE CAPITAINE AUX 2 GUERRES MONDIALES Charles N’TCHORERÉ, 1896-1940 – Libreville
Rares sont les Tirailleurs sénégalais à avoir participé aux deux Guerres mondiales. Charles N’Tchoreré fait partie de ceux-là.
Né à Libreville au Gabon, il s’engage dès 1915 au sein des Tirailleurs sénégalais présents lors de la Première Guerre mondiale. II est promu sergent en 1919, puis sort premier de sa promotion à l’école d’officier. De la Syrie au Soudan, il est ensuite engagé sur de multiples fronts. Affecté en territoire sénégalais, il y reste célèbre pour avoir été le premier Africain à commander l’école des enfants de troupes de Saint-Louis.
En 1939, il est de nouveau appelé sous les drapeaux afin de combattre le fascisme. A la tête du 5ème bataillon du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais, il a pour ordre de faire barrage à l’avancée allemande dans la Somme.
Exemplaires, les Tirailleurs parviennent à repousser les assauts répétés des nazis, mais sont finalement capturés. Le 7 juin 1940, le capitaine Charles N’Tchoreré tombe sous les sommaires exécutions nazies alors qu’il demandait à être traité conformément à son rang, comme prévu par la Convention de Genève.
LE PROFESSEUR DE L’ÎLE DE GORÉE Assane SECK,1919-2012 – Inor (Casamance)
L’histoire d’Assane Seck est celle d’un modeste professeur devenu soldat par refus de la défaite face au nazisme.
Né à Inor en Casamance, il est boursier et devient rapidement un des meilleurs élèves de son école d’Adéane. Ces résultats lui valent par la suite d’intégrer la prestigieuse école normale William-Ponty, située sur l’île de Gorée, dont il sort major de promotion.
Mais à l’heure où la France du Maréchal Pétain capitule face au nazisme, il répond à l’appel du 18 juin du Général de Gaulle, avec les autres élèves de son école. Lors de la mobilisation générale des troupes de l’Afrique Occidentale Française (AOF), Assane Seck se retrouve engagé au sein du 7ème Régiment de Tirailleurs sénégalais en 1941. En 1943, il est promu caporal et prend notamment part au débarquement de Provence de 1944.
Après la victoire, il reprendra sa vie studieuse, poursuivant ses études à la Sorbonne.
LE PÈRE DE LA NATION Léopold SEDAR SENGHOR , 1906-2001 – Joal
Lorsqu’on évoque Léopold Sedar Senghor, on pense souvent à l’exceptionnel Homme d’Etat et au poète de génie. Mais on oublie souvent qu’il fut aussi un soldat engagé et ingénieux.
En 1939, le jeune professeur n’hésite pas à s’enrôler comme fantassin dans le 31ème régiment d’infanterie coloniale.
Il est cependant capturé par les Allemands qui l’internent dans le terrible frontstalag 230 de Poitiers, camp destiné aux prisonniers coloniaux. Alors que l’ordre avait été donné de le fusiller avec ses camarades, Sedar Senghor s’écrie “vive la France, vive l’Afrique noire”, formule qui lui sauve la vie en provoquant un cas de conscience chez les soldats censés l’exécuter.
Après deux années de captivité, il est relâché en 1942 et contribue à la libération de ses camarades. Il use intelligemment de l’hygiénisme exacerbé des Allemands en simulant une maladie tropicale qui les incite à relâcher les prisonniers. Avec le poème “Aux Tirailleurs Sénégalais morts pour la France”, Léopold Sedar Senghor a également contribué à la mémoire des combattants sénégalais.