Face à une géopolitique complétement bouleversée par le terrorisme, des personnalités, de tout bord, politiques, religieuses, intellectuelles etc, cherchent à comprendre. Parmi eux, figure le guide religieux Serigne Mansour Sy Djamil qui, depuis 6 mois, est dans une entreprise concrète pour appréhender le phénomène du terrorisme. Dans cet entretien, le Député éclaire sur sa posture après les visites faites au Bataclan à Paris et en début de semaine à Molenbeek en Belgique, fief de plusieurs Djihadistes. Ceci, après avoir présidé, le samedi dernier, le Gamou annuel de la Tidianya d’Anvers co animé par Cherif Mamina Aidara et Tafsir Abdourahmane Sakho. Entretien….
Quel est l’objet de votre visite dans le quartier de Molenbeek ?
Aujourd’hui, j’ai tenu à visiter Molenbeek pour ma curiosité intellectuelle et par responsabilité politique, de la même manière que j’ai été au Bataclan pour prendre la pleine mesure de la tragédie que ces jeunes français, aucunement responsables, qui trouvent la mort par la volonté d’un petit groupe venu les exécuter, c’est le mot qu’il faut utiliser. Donc, de cette même manière, étant donné que tout semble provenir malheureusement de Molenbeek, de la Belgique d’une manière générale, je veux avoir la juste conception du contexte dans lequel ces gens ont vécu jusqu’à présent et qu’est ce qui peut les pousser à perpétrer ces crimes. Hegel disait « philosopher, c’est l’intelligence de ce qui est ». Donc, avoir l’intelligence de ce qui est avec les éléments et les acteurs. Au niveau de Molenbeek, je me suis rendu compte de la présence massive des arabes à 90 % qui vivent loin du bouillonnement que la presse semble montrer. Ce sont des gens calmes et vivent paisiblement. On a l’impression que rien ne s’y passe. Ils vaquent à leurs occupations, à leurs affaires. Ils contrôlent le commerce et sont en totale sérénité avec des logements sociaux mis à leur disposition par le gouvernement belge. Voici donc une communauté étrangère, expatriée qui vit dans un pays étranger qui lui a donné toutes les raisons d’aisance. Ceci a provoqué chez moi la première réaction. La seconde raison, je suis venu en Belgique présidé un Gamou en présence d’autres marabouts. Avant de venir ici, j’ai vu un pays qui depuis 1 à 2 mois était en état d’urgence pendant lequel des fêtes ont été supprimées, des rassemblements interdits. Ils ont raté les fêtes de noël à cause de l’insécurité. Ils ont raté les grands développements. Dans ce pays, moi un étranger, de religion musulmane, j’ai dans le calme et la sérénité, la joie et l’allégresse célébré la naissance du prophéte Mohamet ( Psl). Il y a un paradoxe. Je sens à l’aise dans ce pays. Il y a des choses inacceptables et surréalistes en faisant ces deux comparaisons. Je suis venu m’enquérir de çà.
Nous vous avons vu voyager partout dans le monde pour la paix, quels sentiments vous animent aujourd’hui ?
Depuis 6 mois je vis dans çà. Je suis co-président de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (WCRP). Je suis tout le temps dans une situation de dialogue interreligieux. J’ai commencé avec le Président Yayi Boni qui m’a invité au mois de mai dernier au Benin pour parler de l’éducation pour la paix et le développement à travers le dialogue interreligieux. Après cela, j’ai été invité pour animer une conférence par le Cheikh Khaled Bentounès, guide spirituel de la confrérie soufie Alawiyya sur le thème : Comment les religions peuvent être utilisées comme antidote à la violence religieuse.
J’ai été à Lima au Pérou lors de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale. Nous nous sommes rendu compte de la centralité de la paix des religions. Nous avons parlé de développer mais on ne peut parler de développement sans une paix. Par exemple, il est impossible de parler de développement dans les pays comme l’Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen, la Palestine ou encore l’Egypte.
Egalement, j’ai été à Salt Late City pour le Parlement mondial des religions ou Parlement des religions du Monde qui a réuni près de 10 000 délégués. On a discuté de dialogue interreligieux, de la violence religieuse, de la spiritualité.
Après j’ai rejoint Serigne Abdou Aziz à Saragosse suite à mon invitation les 5 et 6 novembre dernier par l’université d’Artois pour parler sur le thème : Les nouvelles formes de terrorisme à l’épreuve du droit et on m’avait demandé de réfléchir sur les solutions de l’islam face au terrorisme. J’ai été le seul non juriste, tous étaient des juristes, une vingtaine de professeurs d’université. Et le 13 novembre, c’était les attentats de Paris ; donc une sorte de défaite de la France. C’était moins un système d’intellect au cours de ce séminaire que de l’affect. Je suis dans cette perspective depuis un certain temps. Je veux restituer l’ensemble de cette expérience internationale à la communauté sénégalaise de Belgique et aussi m’enquérir sur le profil de ces jeunes qui vont tuer des innocents. J’ai voulu avoir les pleines mesures du contexte dans lequel vivent ces jeunes.
L’islam est-il synonyme de violence ?
L’atmosphère que j’ai constatée à Molenbeek laisse voir des citoyens normaux qui vaquent à leurs affaires. L’islam n’a rien à voir avec la violence. Ceux qui utilisent l’islam pour commettre la violence représentent une minorité qui a d’autres motivations que des motivations religieuses. Ils ne sont pas représentatifs. A Molenbeek, la plupart des citoyens normaux comme au Sénégal, sont dans l’islam qu’ont chanté Gandhi, Lamartine, Marcel Cohen, un grand écrivain français communiste à la Sorbonne qui a écrit les meilleurs livres sur l’Islam. C’est l’islam qu’incarne le prophète Mohamed. Il n’y a pas un autre islam que celui-là. A moins que je reprenne la fameuse expression de Karl Marx qui disait que le capitalisme n’existe pas. Ce qui existe, c’est la Grande Bretagne, les Etats Unis, l’Allemagne, la France. Je peux dire que l’islam n’existe pas. Ce qui existe, c’est le Sénégal, c’est l’Arabie saoudite… Chaque islam est teinté dans la localité dans laquelle on l’applique. Ce que les anglais appellent « Country is specific ». Mais, il y a quand même des universaux, nous partageons des applications avec d’autres religions.
Quelle lecture faites-vous sur la situation géopolitique au Moyen Orient ?
Dans le contexte géopolitique, il n’y a pas de problèmes religieux au Moyen Orient où j’ai vécu pendant 27 ans. Donc, j’ai une position privilégiée puisque j’étais au cœur du Moyen Orient. Tous ces problèmes dont on parle de Chiites et de sunnites, çà n’a rien à voir avec la religion. Ce sont des positions géopolitiques. Au Congo depuis qu’on a pris Lumumba, on l’a mis dans un puits d’acide, c’est la mainmise des occidentaux sur les richesses de de ce pays et de l’Afrique. Comme au Moyen Orient, la religion a été instrumentalisée dans ce domaine mais ce n’est pas la motivation centrale des différents acteurs. La motivation au Congo, ce n’était pas parce que Lumumba était communiste, les belges voulaient avoir la mainmise sur les richesses énormes. Donc, aujourd’hui on parle de l’Arabie saoudite et de l’Iran, de sunnisme et de chiisme, c’est dû simplement à la question de l’énergie tiré de l’Iran et de l’Arabie saoudite. Donc, dans cette histoire, il faut être conscient de deux choses :
L’émergence de la Chine qui va devenir la première puissance mondiale. Les Etats Unis ont une vision et voient ce qui doit se faire dans la prospective. Aujourd’hui, si on laisse la Chine avec le nombre d’habitants qu’elle a, être la première puissance mondiale, ça va leur créer des problèmes. Quelle est la vision de Obama ? C’est créer des difficultés, faire de telle sorte que la Chine n’ait plus accès à l’énergie. La Chine est déjà présente en Iran et soutient la Russie qui est aussi en Iran. La Russie et l’Iran soutiennent la Syrie et c’est pourquoi les Etats Unis sont revenus en Iran, ils ne veulent pas que la Russie s’impose dans ce cadre géopolitique dans la région et ait accès au pétrole de l’Iran et contrôle la région.
« L’Arabie Saoudite a toujours utilisé le Sénégal »
Une autre tendance, au niveau des Etats Unis et en Occident, par exemple les vendeurs d’armes ont besoin des guerres pour vendre leurs armes. Les grandes industries de l’armement doivent vendre ; c’est les fondamentaux. L’autre question est celle de la Palestine qui a un autre soubassement géostratégique. C’est plutôt une question d’intérêts entre les grandes puissances qui ont créée Israël comme chien de garde dans la région. C’est dans cette perspective là qu’il faut aborder les choses. C’est dans cette perspective-là, personnellement j’invite le Gouvernement du Sénégal, je suis membre de la coalition de Macky Sall, à faire preuve de sagacité et de circonspection qu’il ne mette pas le doigt dans l’engrenage. Qu’il ne se mette pas à dos, ni de l’Arabie saoudite, ni de l’Iran en observant une position de neutralité. L’Arabie saoudite a toujours utilisé le Sénégal (j’étais là à l’Oci ) quand il y avait une résolution que l’Arabie saoudite ne pouvait pas faire passer dans les grandes réunions internationales pour des raisons diverses parce que l’Algérie pouvait s’y opposer, ils demandaient au Sénégal de le faire. Au moment où on voulait limiter le nombre de pèlerins ?
c’était avec le ministre Ibrahima Fall et Moustapha Cissé. Et ils ne pouvaient pas présenter cette résolution, ils ont voulu donner çà au Sénégal qui a refusé. Ils ont pris la Gambie pour qu’elle le fasse. A l’époque, la délégation sénégalaise, les fonctionnaires internationaux, s’étaient réunis pour refuser ce diktat de l’Arabie Saoudite qui voulait limiter le nombre de pèlerins à cause de l’Iran. Donc, aujourd’hui nous sommes dans une situation au Moyen Orient d’une extrême complexité et par rapport à ça le Sénégal doit faire preuve de plus de circonspection. Etre neutre, l’Arabie saoudite, c’est ma famille j’y ai vécu pendant 27 ans. J’ai une affection et une sympathie pour ce pays. Intellectuellement, je peux donner des arguments. Il faut lire le livre de Kissinger sur « The World order », l’Ordre du Monde. Kissinger dit que si l’Arabie saoudite est déstabilisée, c’est tout le monde musulman qui est déstabilisé et si le monde musulman est déstabilisé, c’est le monde entier qui va être déstabilisé et cela a des répercussions sur les économies. Aujourd’hui, l’argument avancé par le gouvernement du Sénégal qu’on va protéger les Lieux saints de l’islam pour justifier l’envoi de troupes au Yémen. Non, on n’en a pas besoin. Dieu qui a dompté Abraham est toujours là. Dieu est plus habilité à protéger la Mecque que quiconque. Il faut aujourd’hui éviter l’instabilité et la désintégration de l’Irak et de la Syrie. Tous les musulmans doivent faire en sorte que cela n’arrive pas également à l’Arabie Saoudite parce que cela rend simplement impossible l’accomplissement du 5eme pilier de l’islam qui est le pèlerinage et même la Oumra. Donc, il faudra tout faire, non pas pour protéger les lieux saints, mais pour qu’il n’y ait pas une déstabilisation économique et sociale qui aura des conséquences mondiales néfastes. Je peux revenir sur çà dans le cadre d’une conférence. Je l’ai déjà fait à notre Gamou à Pikine.