Attaque de Strasbourg : pourquoi la photo de Cherif Chekatt n’a été diffusée que mercredi soir

La police, mais aussi Le Parisien, qui avaient le nom et de la photo du suspect dès mardi soir, ont pris la décision de ne pas les diffuser immédiatement pour préserver l’enquête.

Pourquoi avoir attendu près de 24 heures pour diffuser la photo du terroriste alors qu’il a pris la fuite après son périple meurtrier à Strasbourg ? Nombre de nos lecteurs du Parisien nous ont interpellés ces dernières heures sur ce point, qui découle d’un véritable choix de la police, mais aussi de la rédaction. Explications.

Une affaire qu’ils pensaient régler plus vite

L’appel à témoins, avec la photo et le nom complet du suspect, Cherif Chekatt, fiché S pour radicalisation, a été diffusé vers 19 heures par la police, notamment sur le réseau social Twitter. Et partagé depuis plus de 12 000 fois. Immédiatement, des internautes se sont étonnés du décalage de cette publication avec l’événement survenu la veille, vers 20 heures, alors même que le suspect avait très rapidement été identifié.« L’appel à témoins a peut-être été lancé trop tardivement », admet auprès du Parisien une source policière. Et d’ajouter : « Il aurait été sans doute plus utile dès minuit, le soir même, mais nous pensions que Chekatt serait serré plus rapidement… » Les recherches s’étaient notamment concentrées sur un quartier dans les premières heures de la traque. Au départ, l’appel à témoins n’a donc pas véritablement été envisagé.

La surprise, meilleur atout des enquêteurs

Dans une affaire en flagrance – c’est-à-dire quand les faits viennent de se produire -, le choix de diffuser ou non revient au procureur de la République, en accord avec les enquêteurs en fonction du profil et des informations qui remontent du terrain. Dans le cas strasbourgeois, la diffusion de l’identité du tueur risquait d’entraver le bon déroulement de l’enquête puisque plusieurs proches de Cherif Chekatt étaient recherchés et des perquisitions devaient encore être menées.Conserver l’effet de surprise reste le meilleur atout des policiers et le fait qu’une photo ou un nom fuite parfois sur les réseaux sociaux est très différent d’une diffusion officielle, qui se retrouve en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Ainsi, certains proches susceptibles d’avoir des informations sur les cachettes potentielles du suspect n’étaient peut-être pas encore au courant qu’il était l’auteur de l’attaque. Ils n’avaient donc pas encore à s’inquiéter outre mesure, par exemple, de détruire des affaires lui appartenant ou de se montrer discret en cas de prise de contact. Mercredi après-midi, quatre proches ont d’ailleurs été placés en garde à vue. L’appel à témoins n’a été diffusé qu’après.

Risque de pollution et déperdition des moyens

Une telle traque nécessite par ailleurs une gestion des moyens disponibles rationalisée. Or lancer un appel à témoins veut aussi dire mettre en place une ligne téléphonique pour réceptionner les informations fournies par les éventuels témoins. Avec son lot d’erreurs, même de bonne foi, et de canulars. Selon nos informations, les enquêteurs ont pour l’instant reçu entre 500 et 600 appels. Un chiffre notable bien que moins important que celui concernant par exemple Salah Abdeslam dans le même laps de temps. Mais autant de pistes dont il faut évaluer la pertinence et écarter méthodiquement en fonction des éléments de l’enquête.Ce numéro vert nécessite donc la mobilisation de personnel capable de faire ce tri, pour être sûr de ne pas passer à côté d’une information capitale. Mais il faut aussi s’assurer que cette mission, loin d’être la seule dans ce genre de cas, ne bloque pas inutilement des forces. En somme, le risque est de polluer l’enquête par des témoignages qui doivent ensuite être vérifiés point par point.

Une efficacité à relativiser

Enfin, l’utilisation de cet outil n’a pas toujours été concluante (hors cas d’alerte enlèvement qui vise prioritairement à rechercher une victime). L’exemple de Salah Abdeslam illustre bien les limites du système. Le dossier regorge de témoignages erronés. On croit le voir partout. Et ce n’est pas ce qui a finalement aidé les enquêteurs à l’arrêter. Même chose pour l’affaire Yvan Colonna, à qui l’on a prêté une fuite au Venezuela, au Vanuatu, et même une cache dans le bureau du procureur de Périgueux ! Alors que le Corse s’est longtemps fait héberger sur son île, avant d’être retrouvé quatre ans après dans une bergerie.Un seul véritable contre-exemple : le cas d’Abdelhamid Abaaoud, auteur des attentats de Paris, retrouvé dans un buisson d’Aubervilliers grâce à l’appel d’une certaine « Sonia », un pseudo pour celle dont la vie a été totalement bouleversée depuis. Reste qu’aujourd’hui, cet afflux d’informations est encore plus difficile à gérer car démultiplié par la diffusion de l’info sur les chaînes en continu et le contact avec les services d’enquête facilité par Internet.

De la responsabilité des médias

Au Parisien, la question de la diffusion s’est également posée dès mardi soir. « Nous disposions de l’identité et de la photo de Cherif Chekatt dans les heures qui ont suivi l’attentat », confirme Frédéric Vézard, directeur adjoint de la rédaction. Mais d’expliquer : « Nous avons choisi de ne pas divulguer ces éléments avant la diffusion d’un appel à témoins officiel. La responsabilité d’un média, comme de tout acteur public dans ces circonstances, est de ne rien faire qui puisse mettre en danger des vies, donc de faciliter au maximum le travail des enquêteurs devant conduire à l’arrestation du tueur présumé. En publiant les éléments d’identification avant le lancement de l’appel à témoins, nous risquions d’alerter des personnes susceptibles d’aider le fugitif et de susciter une multiplication de fausses pistes qui aurait ralenti les recherches. »