Au Sénégal, les déclarations de Lamine Diack électrisent la classe politique. Par Amadou Ndiaye (Contributeur, Le Monde )

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A Dakar, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Les déclarations de Lamine Diack aux enquêteurs français révélant que des fonds russes auraient contribué, en 2012, au financement de la campagne de Macky Sall contre le président sortant, Abdoulaye Wade, électrisent la classe politique sénégalaise. Dès la publication de cette information par Le Monde, vendredi 18 décembre au matin, l’entourage présidentiel a pris d’assaut les radios et chaînes de télévision en direct pour démentir.

Le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, s’est voulu formel : « Lamine Diack n’a pas financé la campagne de Macky Sall, et, dans l’article en question, il ne met aucunement en cause le président Macky Sall. » Et le communiquant d’ajouter, sur la radio Zik FM, que ce n’est en aucun cas l’argent qui a vaincu le sortant Abdoulaye Wade, alors âgé de 86 ans : « Le président Macky Sall a fait sa déclaration de patrimoine et prouvé l’origine licite de sa fortune avant la campagne présidentielle de 2012. »

Conseiller du président Macky Sall, Alioune Fall a déclaré pour sa part que Lamine Diack, président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) de 1999 à 2015 et accusé de corruption passive et de blanchiment aggravé, n’a jamais tenu ces propos. Alioune Fall parle d’une « manipulation » et dit avoir encore rencontré Lamine Diack la semaine dernière à Paris. Il souligne que ce dernier n’a dit nulle part avoir financé la campagne de Macky Sall en 2012. « Ce n’est pas vrai, c’est une énormité, et le président [de l’IAAF] Diack en personne m’a appelé tout à l’heure pour démentir l’information. D’ailleurs, ses avocats travaillent à un communiqué qui va sortir incessamment pour démentir les propos prêtés à leur client. » Le conseiller du président sénégalais a ajouté que Lamine Diack a été à nouveau convoqué par le juge le 21 décembre prochain. L’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme est en liberté sous caution, pour une somme, selon les informations de la presse sénégalaise, de 300 millions de francs CFA (plus de 450 000 euros).

Le président sénégalais Macky Sall, le 16 décembre 2015.

L’opposition se déchaîne contre le pouvoir

L’ancien président Abdoulaye Wade, lui, ne s’est pas exprimé. Il est actuellement à Versailles, près de Paris, où il possède une propriété. Mais sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS), a publié un communiqué en début de soirée vendredi pour fustiger le pouvoir en place : « Un journal français révèle, en confirmant ce que nous dénoncions déjà à l’époque, le financement des campagnes de Macky Sall par l’argent sale et par des puissances étrangères qui ne pouvaient pardonner à Abdoulaye Wade de défendre d’abord les intérêts de notre pays. » Et le PDS de poursuivre : « L’argent sale, l’argent de la triche, l’argent du dopage dans l’athlétisme, l’argent de la drogue du sport, l’argent de la corruption est au cœur des différentes campagnes de Macky Sall. Cet argent a financé sa campagne pour les élections municipales et locales de 2009, comme il a financé sa campagne pour l’élection présidentielle de 2012. »

Estimant qu’avec ces déclarations de l’ancien dirigeant de l’IAAF « les masques sont tombés », le PDS exige la libération immédiate et sans condition des « prisonniers politiques », en particulier celle de Karim Wade, son candidat désigné à la prochaine élection présidentielle. Le fils d’Abdoulaye Wade a été condamné le 24 mars 2015 à six ans de prison ferme et plus de 210 millions d’euros d’amende pour « enrichissement illicite » lié aux postes ministériels de premier plan qu’il occupait durant la présidence de son père de 2000 à 2012. « La démission reste la seule porte de sortie pour les corrompus et les incompétents », soutient le communiqué du PDS.

Le jeune leader politique Malick Noël Seck, ex-militant socialiste emprisonné plusieurs fois durant les deux mandats d’Abdoulaye Wade, ne se dit surpris par les propos rapportés par Le Monde : « Les Sénégalais ont voulu le départ de Wade parce que son régime était corrompu. Ce n’est pas par la corruption que Macky Sall parviendra à faire mieux que son prédécesseur. Malheureusement, ils sont tous pareils », déclare le secrétaire général du Front national de salut patriotique