Charlie F, 35 ans, camgirl: « On a le droit d’aimer le sexe « 

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Charlie F a 35 ans. Depuis bientôt trois ans, elle exerce le métier de camgirl, s’exposant physiquement par le biais d’une webcam. Une activité qu’elle assume parfaitement et dans laquelle elle s’épanouit. Témoignage.

Au départ, je suis comédienne. J’ai toujours plus ou moins ramé pour gagner de l’argent. Il y a trois ans, j’ai perdu mon statut d’intermittente et mon compte en banque a viré au rouge. Il fallait que je travaille, et vite. J’ai cherché un petit boulot autour de chez moi, en vain. Puis je suis tombée sur une annonce en ligne: « Vous êtes à l’aise avec votre corps, vous aimez le relationnel… devenez animatrice Webcam ». J’ai été intriguée. Je ne savais pas du tout ce que c’était. Je me suis renseignée et je me suis dit pourquoi pas. Le métier de camgirl demande du « jeu » et l’exercer n’était pas incohérent avec ma passion pour la comédie. Et puis j’ai toujours été à l’aise avec la sexualité. J’ai toujours cherché à mieux connaître mon corps, à identifier mes sources de plaisir et celles de l’autre. 

Apporter du plaisir à des hommes derrière un écran

J’ai donc postulé. C’était pour le site Venus Love Cam. Le gérant m’a coachée une heure au téléphone. Il m’a expliqué que j’allais devenir camgirl, c’est-à-dire que j’allais apporter du plaisir à des hommes derrière un écran. Autrement dit, j’allais devenir l’actrice d’un film porno dont ils seraient les héros en incarnant leurs fantasmes. Il allait falloir être active. Mais le rapport serait équilibré: je n’allais pas être à leur merci, je pourrais imposer mes limites. Ça m’a rassurée.  

Pourtant, en parallèle, j’avais tout de même le sentiment que ce métier « ne se faisait pas », peut-être à force de baigner dans une morale judéo-chrétienne. L’idée de mêler sexe et argent me dérangeait. Et c’est finalement quand mon père, choqué, m’a dit: « Tu comptes vendre du sexe? » que j’ai tilté. Tout se vend, alors pourquoi ne pas vendre du sexe virtuellement? Quel que soit son métier, on vend une partie de soi. Cette réflexion m’a déculpabilisée. Je me suis lancée. 

« Au début, je faisais tout ce qu’on me demandait, jusqu’à me masturber dans ma cage d’escalier »

Lors des premières séances, ma plus grande appréhension était de voir les visages des hommes connectés. Aujourd’hui, à l’inverse, je préfère. Cela permet un réel échange. C’est plus difficile d’être seule face à la caméra et de faire sa petite affaire sans aucune interaction, face à un pénis… silencieux. Il faut au moins que l’homme m’écrive, qu’il s’investisse. 

J’avais également peur d’arnaquer les hommes, qui payent sur la plateforme au temps passé. Je voulais qu’ils en aient pour leur argent, qu’ils rentabilisent chaque minute. Je donnais tout et trop vite. Les shows duraient trois minutes, ils éjaculaient rapidement. Je pensais aussi qu’il fallait faire tout ce que le client me demandait pour qu’il soit satisfait. Sur la première plateforme, je suis tombée sur un homme qui avait un désir d’exhibition. Je me retrouvais à me masturber avec un gode dans ma cage d’escalier, je m’exposais au risque de croiser des voisins, j’étais mal à l’aise. Ce type m’en demandait toujours plus. J’ai compris que je devais imposer mes limites. Maintenant, il y a des choses que je refuse de faire. Par exemple, la double pénétration vaginale, je n’y arrive pas et ça me fait mal, alors je décline.  

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« Je travaille environ 6 h par jour pour 1200 euros par mois »

Aujourd’hui, je travaille pour deux plateformes différentes, Cam4 et Eurolive. Mais je propose également des shows via Skype sur mon site personnel, Charlie Liveshow, qui vont du plus doux au plus hard, et les tarifs vont crescendo selon le type de prestation. Je ne suis pas très chère, je suis même en-dessous du marché. Financièrement, il est plus intéressant d’être contactée via mon site car les plateformes prennent une marge d’environ deux tiers. En joignant ces trois supports, j’arrive à gagner 1200 euros par mois. 

Je bosse environ six heures par jour. C’est vraiment une moyenne, car il y a des jours « sans ». Il faut être dans un bon état d’esprit pour faire un show. Si je ne suis pas d’humeur et préoccupée par des soucis personnels, c’est difficile. Il suffit qu’un homme m’insulte pour que je le prenne pour moi, alors que c’est juste du jeu, ça fait partie du scénario. Après, il y a aussi des gros shows, que j’appelle des shows extrêmes, avec beaucoup d’anal, qui exigent des pauses. Le corps ne peut pas recevoir sans cesse car j’utilise des godemichés imposants et une fuck machine. Sur des shows plus classiques, j’opte pour des godes plus petits afin d’éviter la fatigue physique.  

« Je ne simule pas et j’ai parfois des orgasmes »

Je ressens toujours du plaisir et j’ai parfois des orgasmes. Et heureusement, sinon ce métier serait trop glauque. Je n’ai pas envie de tricher, je craignais même d’avouer mon métier de comédienne de peur qu’on pense que je simule. Désormais je le dis, puisqu’à mes yeux c’est un atout. Ça m’aide à entrer dans mon rôle mais aussi dans le plaisir de l’autre. Et c’est sincère, je me donne vraiment.  

L’excitation peut monter rapidement dès lors qu’il y a de l’échange. Quand je vois mon client éprouver du plaisir, j’en ai en retour. Quand le plaisir n’est pas au rendez-vous, c’est que la pratique ne m’intéresse pas, comme lorsque je tombe sur des fétichistes des pieds. Je me touche les pieds, je crache dessus, je masturbe un gode avec mes orteils, ça m’amuse, je passe un bon moment mais je n’ai pas de plaisir sexuel. Le plaisir peut aussi manquer avec les hommes qui cherchent un « lapin fou », c’est-à-dire une pénétration rapide et incessante. Je n’aime pas, j’oriente la séance vers autre chose. Il faut que ce soit agréable pour moi, sinon ça devient vite désagréable pour eux. 

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« Pour certains hommes, je suis une présence, ils me racontent leur vie »

Mes clients ont entre 20 et 45 ans. J’ai une majorité d’hommes, très peu de femmes, et je ne suis jamais tombée sur des couples. Les séances débutent très souvent par un échange, je demande à l’autre ce qu’il attend, je suis là pour répondre à ses besoins, en respectant mes propres limites. 

Certains ont des fantasmes bien précis, ils sont déjà en couple ou mariés, même s’ils ne me le disent pas, je le devine, leur fantasme est à leurs yeux trop « fou » pour leurs femmes alors ils le vivent avec moi.  

Beaucoup d’hommes ont besoin d’être rassurés. Ils me demandent si leur pénis a la bonne taille. Pour certains, je suis une compagnie, une présence. Il y a un petit jeune qui se connecte souvent, et entre deux scènes de sexe, il me raconte ce qu’il fera après ses études. Un peu comme si on était dans un canapé, à partager une intimité, une bonne soirée. Il y a aussi ceux qui tombent amoureux de moi, qui reviennent régulièrement.  

Je bannis parfois des hommes, ceux qui me harcèlent sur Skype ou ceux qui sont irrespectueux et m’insultent d’emblée alors que nous ne sommes pas encore entrés dans le jeu. Parfois, il y en a qui sont juste là pour passer leurs nerfs. Je n’ai pas de problème avec les mots crus mais je différencie le show du « hors show ». Il y a aussi ceux qui me disent « c’est une honte ce que tu fais ». Je pense qu’ils se parlent à eux-mêmes, ils ont peut-être honte de leur démarche.  

Certains hommes veulent me rencontrer. Je suis camgirl et non escorte, il n’y a pas de rencontre physique possible, c’est une ligne que je ne franchirai pas.  

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« Mon père m’a demandé d’aller voir un psy »

Quand j’ai voulu me lancer, j’en ai parlé à mon homme. Pour moi, c’était impossible à cacher, et puis on vit ensemble, il travaille à la maison aussi. Il y a eu beaucoup de jalousie. Il me regardait en show les premières fois, il me voyait prendre mon pied avec des godes et des hommes derrière l’écran. C’était difficile pour lui, mais aussi pour moi. Sa présence me mettait mal à l’aise. Au lit, je craignais qu’il me prenne pour « la camgirl » et non pour sa petite amie, alors je lissais mon énergie sexuelle à ses côtés et ses crises de jalousie revenaient de plus belle car il me voyait tout donner aux clients.  

J’ai vite stoppé cette habitude en m’isolant. Aujourd’hui, notre relation est saine. Il a très rapidement dépassé sa jalousie, disons qu’il avait toutes les clés pour ça: il a toujours aimé l’univers du porno et n’a jamais été choqué par le métier de camgirl. La moitié du chemin était faite, il lui fallait juste accepter que ce soit moi derrière une caméra.  

Mon job a également pimenté nos relations sexuelles. Je n’ai pas peur de jouer, de tester des nouvelles choses. J’ai toujours été plus ou moins comme ça, mais là je m’amuse sans complexe, je n’ai pas peur du regard de mon compagnon ou de mon propre regard.  

Quand mon père a su, il a voulu que j’aille voir un psy et m’a demandé d’arrêter. Je ne l’ai pas écouté. J’ai 35 ans, je fais ce que je veux de ma vie, de mon corps, je suis libre d’exercer le métier qui me plaît. Un de mes frères a réagi de la même façon, mais il a fini par accepter mon métier lorsqu’il a compris je m’y épanouissais réellement. Je suis bien dans ma peau aujourd’hui et ça se sent.  

« Derrière la caméra, on prend aussi des shoots de compliments »

Ce métier m’apporte énormément de choses. J’ai beaucoup de moins de complexes aujourd’hui. On nous dit souvent qu’il n’y a pas un canon de beauté et c’est en faisant de la cam que je m’en suis réellement aperçu. On voit sur les plateformes qu’il y en a pour tous les goûts: des jeunes, des vieilles, des maigres, des rondes… tous les corps plaisent. Un jour, un homme m’a dit « vous êtes trop belle pour moi » et il a zappé. Derrière la caméra, on prend aussi des shoots de compliments, ça fait du bien. 

Ce métier m’a également aidé à assumer ma sexualité. J’ai compris que j’aimais énormément le sexe. Les femmes sont souvent partagées entre l’envie de plaire, d’exciter l’autre, de prendre du plaisir, et la crainte de passer pour une salope. Il faut relâcher la pression. On a le droit d’aimer le sexe, d’avoir des pulsions, de faire du bruit.  

« On peut vendre ses charmes sur internet et faire de la scène »

Ce n’est pas seulement exposer mon corps qui m’intéresse. J’aime mon métier, mais j’aime la sexualité dans son ensemble, j’aime trouver de nouvelles sources de plaisir, comprendre celles des autres. J’écris des billets sexo sur mon blog, je lis beaucoup de littérature érotique et j’en fais aussi des lectures à la radio, sur LSF Radio. Je ne suis pas qu’une camgirl. Et j’aimerais que le « moi camgirl » rejoigne le « moi comédienne ». Aujourd’hui, le lien entre mes deux carrières n’est pas fait. J’ai tourné récemment pour la série Petits secrets entre voisins de TF1, sous mon pseudo Charlie F. C’est volontaire, j’assume de plus en plus ce que je fais et je ne veux pas vivre dans plusieurs cases. On peut vendre ses charmes sur Internet, être en couverture du HotVidéo, mais aussi faire de la scène, enseigner le théâtre, tourner des séries… Rien n’est incompatible et je veux le prouver. 

Par Charlie F, propos recueillis par Caroline Michel