Dans le quartier de la gare de Milan, ils sont devenus une présence familière, comme les voyageurs pressés, les policiers et les militaires chargés de la surveillance des lieux.
Les migrants dotés de permis de séjour ou sans papiers campent devant l’immense édifice art nouveau, se déversent dans les rues adjacentes et ont transformé ce secteur de la ville en une sorte de maison à ciel ouvert.
Ce quartier au cœur du chef-lieu d’une des régions les plus riches d’Italie est, en effet, devenu l’emblème de l’explosion des flux migratoires à Milan après que la péninsule s’est transformée – suite à la fermeture de la route des Balkans et de l’accord entre l’UE et la Turquie – en l’unique véritable porte d’accès européenne pour les migrants en provenance d’Afrique du Nord.
« Quand je suis descendu du train hier soir, j’ai regardé autour de moi et je ne me suis pas senti en sécurité », explique Marco A., un comptable milanais.
Confusion totale
Dans cette gare, les immigrés regardent passer les journées, indolents et impuissants, sombrent dans le désespoir comme le Malien qui s’est suicidé début mai devant la voie ferrée, ou laissent exploser leur rage, comme jeudi soir lorsqu’un jeune Italo-Tunisien a poignardé deux militaires et un policier lors d’un contrôle d’identité.
« Cette situation est folle et absolument pas gérée. La confusion est telle que ceux qui n’auraient pas le droit d’être reçus finissent dans les centres d’accueil alors que les réfugiés qui ont droit à protection et tutelle se retrouvent souvent dans la rue », explique Matteo Forte, conseiller municipal de Milano Popolare, l’opposition de centre-droite.
Ancienne ville modèle pour les stratégies d’accueil qu’elle mettait en place, Milan croule aujourd’hui sous le poids de flux humains incessants et impossibles à maîtriser. Les dizaines de milliers d’immigrés qui ont rejoint la ville, bloqués par les logiques de la Convention de Dublin et des contrôles de plus en plus sévères aux frontières européennes, arrivent non plus pour transiter mais pour rester, le plus souvent malgré eux. Et, aujourd’hui, 90 % de ces migrants présentent une demande d’asile.
Or, pour des raisons qui relèvent du calcul politique et de la morale, l’Etat italien continue à respecter deux fondements du droit international : le principe du non-refoulement et, évidemment, celui de la sauvegarde de la vie en mer. Résultat : l’Italie pourrait compter, à la fin de l’année, 800.000 immigrés sur son territoire arrivés en quatre ans, dont de nombreux mineurs non accompagnés et une grande majorité de migrants économiques, concentrés surtout à Milan et à Rome.
Extrémisme et populisme
« Milan a toujours été ouverte mais nous commençons à avoir peur. Les centres d’accueil extraordinaires (CAS) sont bondés et des zones entières de la ville – rues, jardins publics… –, surtout dans les quartiers du centre, sont désormais occupées par des migrants », ajoute Matteo Forte.
Une question névralgique pour Milan et le reste du pays qui s’apprêtent à affronter des élections législatives. Elles s’annoncent propices pour le discours extrémiste de la Ligue du Nord et le populisme du Mouvement 5 étoiles.
Sous l’impulsion du phénomène migratoire, le chef-lieu lombard est, en effet, devenu un formidable laboratoire où s’affrontent les tensions politiques qui exploseront au prochain rendez-vous électoral.
Deux âmes habitent cette ville : une âme cosmopolite et généreuse, représentée notamment par les dizaines d’associations locales qui participent à l’accueil des réfugiés, s’inquiètent de la croissante « criminalisation de l’immigration » et prônent moins de présence policière et plus de services d’intégration sociale. Et une âme aux contours xénophobes, incarnée par la Ligue du Nord de Matteo Salvini, préoccupée par « une invasion qui débouchera en un nettoyage ethnique des Italiens et des Européens ». Et qui, le 2 mai dernier, s’est réjouie de l’inattendue et musclée descente de police à la gare, organisée contre « la détérioration et l’illégalité dans le quartier », mais qui visait en priorité tous les immigrés qui y bivouaquent.
Une grande marche
Pourtant, la mairie de Milan ne cesse d’accroître ses efforts. Une dizaine de grands centres accueillent les migrants, souvent cogérés par la préfecture, la Croix Rouge et des associations catholiques. Le principal, le CAS de rue Corelli, héberge 450 personnes.
« L’enjeu est d’accélérer la procédure d’examen des demandes d’asile. La machine bureaucratique est débordée mais tout parcours individuel mérite d’être bien analysé. Entre-temps, nous essayons d’élargir au plus grand nombre possible les activités d’apprentissage de la langue, d’insertion professionnelle, d’autonomisation… » explique Gabriella Polifroni, porte-parole de la section des Politiques sociales de la mairie.
Et pour réaffirmer le désir d’ouverture de Milan, une grande marche contre le racisme et l’exclusion a été organisée samedi par les autorités de la ville. Avec le maire, Beppe Sala, en tête du cortège.
Le chef du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, a appelé dimanche à Tripoli à la libération des demandeurs d’asile et des réfugiés détenus dans les centres de rétention pour migrants en Libye. Le chef du HCR a indiqué qu’il comprenait les inquiétudes des autorités libyennes en matière de sécurité. Mais selon lui, d’autres solutions devraient être trouvées pour les migrants venant de pays en conflit comme les Syriens ou les Somaliens. M. Grandi s’est dit « choqué par les conditions difficiles dans lesquelles les réfugiés et les migrants sont détenus ». (b)
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