L’adjudant Bourama Dieme (1919-1999), originaire de Casamance, est un héros de la Seconde Guerre mondiale. Commandeur de la Légion d’honneur, il est célébré au Sénégal où les griots chantent encore ses exploits. Engagé à l’âge de 20 ans, Bourama Dieme a «mis son pied partout» dans les campagnes de l’armée française et au service de l’armée sénégalaise.
Il aurait pu être le héros d’un film de guerre. Il a été un héros tout court. Pourtant, rien ne l’y prédestinait. Né en 1919 dans un village de Casamance, Bourama Dieme s’engage dans l’armée française le 5 janvier 1939. Comme beaucoup d’autres jeunes, conscients de la menace que représente la montée du IIIe Reich.
Dans les villages, les marabouts lisent des passages de Mein Kampf (Mon Combat), le manifeste politique d’Adolf Hitler. Malgré l’éloignement, les Africains savent donc ce qu’il se trame en Europe (reportage TF1 du 2/4/2010).
Bourama Dieme est incorporé au 16e Régiment de tirailleurs sénégalais du lieutenant-colonel de Froissard-Broissia stationné à Cahors. Le 3 septembre, après l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Commence la «Drôle de guerre». Bourama Dieme est envoyé avec son régiment en Alsace-Lorraine. Il participe à la prise du village allemand de Schweix, puis les troupes descendent prendre leurs quartiers d’hiver sur la Côte d’Azur où elles restent en instruction.
En avril 1940, le 16e RTS est renvoyé en Lorraine, dans la région de Sarrebourg employé avec le 24e RTS à consolider les positions françaises. En mai, les deux régiments sont envoyés dans le sud de la Somme où la bataille a commencé. Le 28, les Français contre-attaquent. Le 16e RTS perd 350 hommes.
Le 5 juin, il est encerclé à Villers-Bretonneux. Les tirailleurs tentent une percée à la baïonnette. Certains y parviennent, d’autres pas. Ceux-là sont exécutés*. Dans Mémoires de tirailleurs, Bourama Dieme témoigne : «Les Allemands, il vient là, ils font ein, zwei, drei, vier, allez kaput **! Ils creusent les trous. Ils tuent. Il met dedans».
Une réputation d’invulnérabilité
Bourama a de la chance. Il échappe aux exécutions. Il est fait prisonnier. La France le déclare mort à sa famille. Avec ses codétenus, il est d’abord envoyé à Berlin. Mais par peur de les voir contaminer la «race des élus», l’armée du Reich les transfère dans les Landes en 1941.
En mars 1942, Bourama Dieme s’évade et parvient à rejoindre Dakar trois mois plus tard. Au lieu d’en rester là, il s’engage dans les Forces françaises libres. Il prend part au débarquement en Provence, puis se retrouve affecté en Italie.
Après un séjour à Dakar, il repart à Marseille, d’où il embarque pour l’Indochine en 1949. Quelques mois plus tard, il est blessé par un éclat de mine à l’œil gauche. La blessure est superficielle et lui vaut une réputation de magicien que rien ne peut abattre. En décembre, Bourama Dieme et ses compagnons d’armes sont retranchés dans un bunker, au poste de Bao Chuc, près de Vinh Yen. Les vietminhs attaquent. Au moment où la petite troupe de 50 tirailleurs qui se trouve là risque d’être anéantie, il sort, fusil-mitrailleur à la hanche, et lance en wolof : «Pas de quartier !», en encourageant les autres à chanter. L’ennemi s’enfuit, effrayé.
Pour ce fait d’arme, il est nommé sergent au feu et reçoit la croix de guerre avec palmes du général de Lattre de Tassigny. Il est rapatrié au Sénégal. Mais le repos n’est que de courte durée. En 1952, Bourama Dieme se porte volontaire pour repartir en Indochine. Il y cumule les exploits, aligne les médailles et rencontre sa femme, une Vietnamienne, qui lui donnera dix enfants.
Après la débâcle de Dien Bien Phu en 1954, il quitte l’Indochine pour l’Algérie où il obtient ses galons de sergent-chef et une nouvelle médaille militaire. En 1956, lorsque le président Gamal Abdel Nasser nationalise la compagnie du Canal de Suez, son régiment est envoyé en Egypte pour reprendre le contrôle du canal.
A l’indépendance de la Fédération du Mali en 1960, Bourama Dieme est reversé dans l’armée sénégalaise avec le rang d’adjudant.
Dans les mois qui suivent, les pays africains accèdent chacun à leur tour à l’indépendance, souvent de manière pacifique, parfois accompagnée de violences. C’est le cas dans la République du Congo, actuel Congo Kinshasa, où des mutineries éclatent le 5 juillet. Déçus de voir que l’indépendance – déclarée le 30 juin – n’a rien changé à leurs conditions, les soldats congolais de la Force publique belge s’en prennent à leurs supérieurs européens. Les exactions s’étendent aux civils. Profitant des troubles qui secouent l’ensemble du pays, Moïse Tshombe proclame la sécession de la province du Katanga (sud-est) le 11 juillet. Le 14, le président de la République, Joseph Kasavubu et son Premier ministre, Patrice Lumumba, réclament l’aide des Nations unies. Les Casques bleus interviennent au mois d’août. C’est là que Bourama Dieme prend part aux opérations de maintien de paix au sein des forces sénégalaises (600 militaires sont envoyés).
Bourama Dieme est réformé en 1964 à l’âge de 45 ans. Au Sénégal, il raconte ses campagnes, suscitant l’admiration de tous. Les griots chantent ses exploits. En 1989, il suit ses enfants pour s’installer à Sarcelles, en région parisienne. D’officier de la Légion d’honneur, il est élevé au grade de commandeur en 1991.
Malgré cette nouvelle distinction, Bourama Dieme vit pauvrement, avec seulement l’équivalent de 330 euros par mois à cause de la cristallisation de sa pension d’ancien combattant. Cette somme n’est revalorisée qu’en 1993 lorsqu’il obtient, après de longues démarches, la nationalité française. Il s’éteint le 6 juin 1999. Sa femme, à qui l’État français n’a toujours pas octroyé la nationalité française, décède un an plus tard (document Sénat).
Fait exceptionnel, l’adjudant Bourama Dieme est choisi comme parrain par les élèves sous-officiers de la 225e promotion de l’Ecole nationale des sous-officiers d’active stationnée à Saint-Maixent-l’École. Le baptême de promotion est célébré le 22 décembre 2004. C’est la première fois qu’un sous-officier africain des troupes coloniales est choisi pour parrain.
«Du village, à 20 ans j’étais dans l’armée française. Jusqu’à la fin de la guerre. J’étais prisonnier, évadé, débarquement canal de Suez au temps de Nasser. Je suis été partout. Tout des campagnes de la France. Il n’y a pas endroit où je mettais mon pied».
« […] À fait preuve d’une très heureuse initiative pour empêcher l’accès de la tour qui venait de s’écrouler en tirant à découvert par la porte de son blockhaus. Magnifique entraîneur d’homme, faisant chanter ses tirailleurs devant l’assaut ennemi, maintenant ainsi un moral admirable à l’intérieur de son poste ».
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* détails sur le site « non officiel » des troupes de marine.
** «un, deux, trois, quatre. Fini.»