Mariage forcé en Belgique : le courage de parler

ad185a320a9c8af2e25d53ef7cbacd4f-1412863214A l’occasion de la Journée internationale de la fille initiée par l’ONU, Insiders met en lumière dans ce reportage, le fléau des mariages forcés, une pratique très ancienne qui aujourd’hui, est considérée comme une atteinte aux droits de l’homme par les Nations Unies. D’après les estimations de l’organisation, environ 700 millions de femmes et 150 millions d’hommes mariés dans le monde l’ont été de force avant leur majorité. Une réalité qui concerne tous les continents, y compris l’Europe.
En Belgique, Valérie Gauriat a rencontré des femmes victimes, venues d’Afrique, ou nées en Belgique. Elles osent témoigner de ce qu’elles ont subi. Mais combien d’autres ne parviennent pas à briser le silence au grand dam des associations et des autorités belges pourtant mobilisées sur ces questions.

Chimène, togolaise, et Rokia, guinéenne, résident toutes deux dans un foyer d’accueil belge, elles ont fui leur pays pour échapper à des mariages forcés. Obtenir l’asile en Europe, c’est – disent-elle – une question de vie ou de mort. Au moment de notre rencontre, Rokia ne savait pas encore que sa demande serait acceptée quelques jours plus tard.
“Quand mon papa est décédé, raconte-t-elle, j’ai été mariée à un ami à lui. Ce monsieur était diamantaire, il avait beaucoup d’argent, ils m’ont vendue à cet homme. J‘étais sa troisième femme. J’ai subi une excision pour la première fois quand j‘étais enfant, la deuxième fois quand j’avais douze ans et quand, pour la troisième fois, il m’a dit de me faire encore exciser, j’ai dit non! Parce que maintenant, je connais les conséquences néfastes de l’excision”, confie Rokia. “Le monsieur me frappait, me torturait même pour faire l’amour avec lui, parce que je ne voulais pas de ce monsieur-là! Il me battait tout le temps!” lance-t-elle avant d’ajouter : “Dans mon pays, ma vie est en danger, parce que j’ai désobéi à la famille.”

Chimène, elle a échappé au mariage que sa famille voulait lui imposer avec l’homme beaucoup plus âgé qu’elle,dont elle fut victime:
“J’ai un fils de deux ans et trois mois; ce serait difficile pour moi de retourner au pays, parce que son papa veut le prendre, et moi je ne veux pas. Sa vie sera en danger s’il retourne au pays”, assure-t-elle avant de préciser : [Le papa,] c’est le monsieur qui voulait m‘épouser après m’avoir violée.”

“Très peu de victimes vont porter plainte”

En nous parlant à visage découvert, Chimène et Rokia risquent gros. Mais elles veulent témoigner pour mettre fin aux pratiques dont elles ont été l’objet.

Elles sont deux des protagonistes de la pièce de théâtre Silence de plomb, paroles de soi , dont la vidéo était projetée lors d’une journée d‘études organisée à Liège sur le thème des mariages forcés et violences liées à l’honneur.

La Belgique est l’un des premiers pays d’Europe à avoir criminalisé spécifiquement le mariage forcé, et les tentatives de mariage forcé.

Difficile pourtant, d’endiguer le phénomène, souligne Leila Slimani, la coordinatrice de la plateforme liégeoise sur les mariages forcés et les violences liées à l’honneur.
“J’ai très, très peu de victimes qui vont aller porter plainte et qui vont attendre quelque chose de la loi, indique Leila Slimani, qui dirige également le service Droits des Jeunes à Liège. “On a quasiment pas de chiffres sur les mariages forcés et les violences liées à l’honneur parce que les gens ne vont pas porter plainte. Ils ont peur de faire du mal à leur famille, d’avoir leurs parents en prison, d‘être responsables de la chute financière de leur famille, ou d’avoir leur frère ou leur soeur placés,” explique-t-elle.

Dans la banlieue de Bruxelles, nous rencontrons une femme que nous appellerons “Amina”. C’est sous la pression familiale qu’elle a consenti à un mariage arrangé par l’imam de la mosquée de son quartier bruxellois, avec un inconnu, qui vivait alors au Maroc.

Citoyenne belge, Amina fut le laissez-passer de cet homme pour l’Europe. C‘était il y a 20 ans. Elle a pu divorcer après des années de procédures. Mais la blessure demeure.

“Cela marque très longtemps, cela ne s’arrête pas parce qu’il est parti”, insiste Amina. “Monsieur contractait des dettes, et il faut savoir que son nom était mis sur la maison, et que je continuais à payer ce crédit. Je me suis retrouvée finalement avec beaucoup de problèmes.”

Lorsque notre reporter lui demande si elle a pu refaire sa vie, sa réponse est: “Non. Sincèrement, je ne me suis plus jamais remariée, je crois qu’un mariage, c’est un mariage : même s’il y a des gens qui se marient deux ou trois fois, ce n’est plus la même chose,” dit-elle, d’une voix tremblante.

Violences intra-familiales

Des histoires comme celle-là, Halina Benmrah en entend tous les jours. Elle dirige une “association d’aide aux victimes de mariages forcés ou de complaisance. Trop souvent, elles ne savent pas vers qui se tourner, dit-elle. “Malheureusement, la plupart des personnes qui appellent, je dirais qu’il est quelquefois trop tard, le mariage a déjà eu lieu, indique-t-elle. Sur le papier, on trouve beaucoup de choses; dans la pratique, il n’y a rien qui est mis à la disposition [des victimes] et quelquefois, la personne n’est même pas informée, ne sait même pas où il faut s’informer,” poursuit-elle.

Les professionnels de différents secteurs tentent pourtant de s’organiser. Anne-Sophie Vallot est inspecteur principal de police à Bruxelles.
Chargée d’un service dédié à la jeunesse et à la famille, elle est régulièrement sollicitée par les associations lorsque des victimes de mariage forcés se trouvent en situation d’urgence.

Ce jour-là, elle se rend dans les locaux de La Voix des Femmes
La directrice de l’association, Maria Miguel-Sierra, lui fait part de l’appel récent d’une jeune mineure craignant d‘être envoyée à l‘étranger d’un jour à l’autre, pour être mariée de force.

“Je vais essayer de voir si je peux la rencontrer physiquement parce qu’elle n’a pas voulu laisser son numéro de téléphone et elle n’allait vraiment pas bien du tout, elle a vraiment besoin d’un suivi psychologique,” explique Maria Miguel-Sierra à l’inspecteur. “On a fait des recherches chez nous et effectivement, il y a eu des plaintes précédemment,” lui précise la fonctionnaire de police.
Anne-Sophie Vallot poursuit à notre intention : “Nous, au niveau de la police, on voit les victimes à travers les violences intra-familiales. On se rend compte que très souvent, il y a un mariage forcé au départ et nous, on voit les conséquences de tout cela. Ces conséquences sont quand même des viols, des viols à répétition, des violences, des violences graves, des violences lourdes!” insiste-t-elle. “Au final, la fille, quand elle est à bout, qu’elle n’en peut plus et que c’est une question de vie ou de mort, elle vient frapper à la porte de la police en lui demandant de l’aide.”

“Cette vision de la famille ne change pas du jour au lendemain”

“La Voix des femmes” et une quinzaine d’autres associations bruxelloises se sont organisées en réseau pour coordonner et développer leurs modes d’intervention. Un numéro d’appel d’urgence a été mis en place pour les victimes de mariages forcés. L’association multiplie aussi les actions de sensibilisation auprès des professionnels et du public, notamment dans les communautés les plus touchées.

“La Belgique est un pays qui accueille souvent par le biais du regroupement familial, de nouveaux flux migratoires” constate La directrice de “La Voix des femmes”. Donc, poursuit-elle, il ne faut pas s‘étonner aussi que quand des jeunes filles arrivent dans le pays à un très jeune âge, quelques années plus tard, la question du mariage se pose. On vient avec un certain nombre de valeurs, avec une certaine vision de ce que doit être la famille. Et ces visions-là ne changent pas du jour au lendemain,” dit-elle.

Une question de temps, mais également de prévention, notamment auprès des jeunes pouvant être exposés à des mariages contraints, qui tournent parfois au drame.

Les informer, c’est aussi les aider à briser le silence.
“Je dirais aux filles d’oser en parler”, conclut Amina, “d’aller frapper à une porte, peu importe laquelle, que ce soit une amie, une voisine, que ce soit à l‘école, peu importe, mais d’en parler”.