Quand on est réfugié, trouver un emploi ressemble souvent à un parcours du combattant. Diplômes sans équivalences, stéréotypes difficiles à dépasser, parcours en pointillés… L’exil est souvent synonyme de déclassement. Alors certains ont décidé de monter leur entreprise, épaulés par l’association Singa qui a lancé un incubateur. Portraits.
Nadège*, 31 ans, est arrivée en France il y a quatre ans. Mais son parcours d’exil a commencé en 1994, lorsqu’elle a fui le génocide rwandais. Vingt-deux ans plus tard, après être passée par plusieurs pays, elle est venue en France pour compléter sa formation en ressources humaines par un Master en commerce international.
Veste de costume grise et petites lunettes, Mahamat, lui, a la quarantaine et des allures de dandy. « Au Pôle emploi, ils s’en foutent que tu aies un doctorat », s’agace-t-il, lui qui s’est vu proposer un job de manutentionnaire. Au Tchad, d’où il est originaire, Mahamat était journaliste. Il est aussi titulaire d’une licence en civilisation orientale. « Journaliste de dix-neuf ans de carrière », répète celui qui est réfugié en France depuis 2006, comme si on ne voulait pas le croire.
Un CV marqué par l’exil
Nadège, elle, a quatre diplômes en poche. Pourtant, quand vient le moment de se lancer sur le marché du travail, les portes se ferment. A chaque entretien, ce sont les mêmes questions, la même méfiance par rapport à son CV en pointillés, raconte la jeune femme : « Pourquoi tu as bougé ? On ne comprend pas, tu es trop mobile. » On lui demande d’expliquer la cohérence de son parcours, les trous, témoigne la jeune femme au regard déterminé. « Moi je leur propose la polyvalence, mais il semblerait que ce ne soit pas quelque chose de valorisé. A 31 ans, en France il faut avoir au moins six ans d’expérience. Et quand je postule à des offres où l’on demande trois ans d’expérience, on s’attend à voir arriver un jeune de 25 ans. » Comme elle ne rentre pas dans les cases des recrutements classiques, elle passe par des forums pour rencontrer les gens en face à face. En vain. Nadège est contrainte de vivoter grâce à quelques stages et au RSA.
Pourtant, son parcours d’exilée pourrait constituer une force. « J’ai été dans plusieurs pays, ce qui signifie des systèmes différents et des compétences : capacité de s’intégrer, de communiquer, etc. », pointe-t-elle.
Des expériences difficiles à exporter
Mahamat, expulsé du Tchad pour ses activités de journaliste aimerait vivre de son métier en France, mais il n’arrive pas à trouver sa place dans un milieu très compétitif. Ses compétences sont bien reconnues, pourtant relève-t-il, puisqu’il est souvent invité en tant qu’expert sur les questions du Sahel, sur des plateaux télé.
Mais l’horizon est peut-être en train de s’éclaircir pour Nadège et Mahamat. Tous les deux ont vu leur projet d’entreprise retenu par Singa pour intégrer un incubateur.
Fort de son expérience Mahamat veut remonter un journal en France. Il a déjà tenté tout seul, mais il ne s’en sort pas. « J’ai besoin d’un coup de main pour passer à l’étape supérieure ». Il brandit une édition de son journal, bilingue français/arabe. La manchette affiche « Hebdomadaire ». Mais les parutions sont irrégulières, concède Mahamat. Il a besoin d’aide. Le journaliste a encore du mal à définir ses besoins, mais c’est surtout un cadre et des conseils qu’il recherche. Réfléchir à l’avenir du projet, prendre du recul.
« Aider les entreprises à comprendre les différences culturelles »
Nadège a rencontré Isabelle dans un atelier de Singa autour de l’emploi. Monter une entreprise, elle y pensait. « Mais je me disais que je le ferais quand j’aurai 50 ans. » Et finalement l’idée a germé et la rencontre a fait le reste. Désormais, elle parle de leur projet avec assurance : « Notre idée, c’est d’aider les entreprises et les organismes à mieux comprendre les réfugiés, les différences socioculturelles, décloisonner. La cible : les responsables des ressources humaines ou les managers qui sont amenés à travailler avec des équipes multiculturelles. Mais aussi les associations et les familles qui accueillent des réfugiés. » En résumé, casser les clichés et montrer la valeur ajoutée des réfugiés. Une activité qui prendrait la forme de conseil ou de formations.
Leur slogan : « Cultivons la diversité culturelle ». Faire de la différence une force. « Débloquer les petites incompréhensions, les non-dits qui bloquent pour que la diversité soit vraiment une richesse », renchérit Isabelle.
Enlever l’étiquette de réfugié
« Quand on est réfugié, souligne Mahamat, on passe par plusieurs étapes pour avoir le statut. Souvent ça dure des années. Et en attendant, on est coincé dans les démarches administratives et sociales ». Le temps passe et l’isolement s’accroit. « Mais aujourd’hui, avec Singa, j’ai senti l’espoir ».
En collaborant à des ateliers CV comme bénévole dans des associations, Nadège a aussi pu constater que beaucoup de responsables en ressources humaines ne connaissaient pas bien le statut de réfugié. Une question revient souvent : « Mais vous avez le droit de travailler ? » On pense aussi que les réfugiés ne parlent pas français et que cela va être compliqué.
Quand on cherche un emploi ou même que l’on veut créer une entreprise, l’étiquette de réfugié est parfois un peu lourde à porter. Avec leurs projets Mahamat et Nadège espèrent démontrer qu’être réfugié, « c’est seulement un statut » et que pourvu qu’on leur laisse la possibilité de s’adapter, ils peuvent être un atout pour une entreprise et pour la société.
*Ce prénom a été modifié pour respecter l’anonymat.