Rival de Mobutu et des Kabila, l’opposant n’a jamais cessé de rêver diriger le plus grand pays d’Afrique francophone. Il est mort d’une embolie pulmonaire à 84 ans.
Jusqu’au bout de sa vie, Etienne Tshisekedi a cultivé son image de mythe politique. L’infatigable opposant, bien que vieillissant et malade, n’a jamais cessé de considérer qu’il était le seul être légitime pour diriger le plus grand pays d’Afrique francophone. Son visage rond et fermé comme une statue de cire, surmonté d’une éternelle casquette gavroche, était devenu une icône, celle de la résistance et de l’espoir d’une alternance politique pacifique que n’a encore jamais connu la République démocratique du Congo (RDC). Il s’est éteint dans un hôpital de Bruxelles le 1er février, d’une embolie pulmonaire, à 84 ans.
Ces derniers temps, sa parole publique s’était fait rare. Lorsqu’il n’était pas en Europe ou en Afrique du Sud pour des soins, il vivait reclus dans sa résidence de Limeté, un quartier populaire de Kinshasa, la capitale, son fief. Il aimait à recevoir, à être consulté par les personnalités politiques et des diplomates, à partager ses vues et analyses autour d’une bouteille de champagne. Limeté était comme le micro-Etat de celui qui aimait à se faire appeler « président ».
Un brin mégalomane
A quelques pas de sa villa se trouve le siège de son parti politique, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), sa créature qu’il anime depuis trente-quatre ans. Ses sympathisants, les « combattants » et les « parlementaires debout » transmettaient oralement les nouvelles du jour, les consignes et les mots d’ordre du chef. De sa voix métallique, Etienne Tshisekedi pouvait mobiliser des dizaines de milliers de jeunes des quartiers délaissés de Kinshasa prêts affronter les forces de sécurité, à mourir pour leur idole. Un brin mégalomane, autoritaire avec ses troupes et populiste, la manifestation était son arme ultime. Ayant toujours refusé la voie des armes dans un pays traversé par de multiples rébellions depuis son indépendance, il maîtrisait mieux que personne la mobilisation populaire pour secouer les régimes successifs. Sans jamais les faire vaciller. A 84 ans, affaibli, le vieil opposant avait fini par accepter le dialogue, sous l’égide de l’église catholique congolaise, avec les stratèges du président Joseph Kabila dont le deuxième et dernier mandat s’était achevé le 19 décembre 2016. Son fils, Félix, a été l’un des négociateurs de l’opposition qui ont arraché pour Etienne Tshisekedi un dernier rôle, celui de dirigeant du Conseil national de suivi d’une transition incertaine jusqu’à la tenue d’élections sans cesse repoussées. Les négociations se poursuivaient lorsque sa santé l’a contraint à quitter une nouvelle fois Kinshasa, le 24 janvier, pour des soins en Belgique. Sur la scène de la grande comédie politique congolaise où les idées comptent moins que les intrigues, les arrangements, les alliances et les trahisons, le « sphynx de Limeté » était devenu une sorte de totem, usé mais toujours debout.Né le 14 décembre 1932 à Luluabourg (actuel Kananga), dans une famille modeste du Kasaï, province du centre de ce qui était alors une colonie belge, il vibre au moment de l’indépendance du Congo en 1960. Il a 27 ans, devient le premier diplômé en droit de son pays l’année suivante et s’initie à la politique dans ce qui deviendra le Zaïre de Mobutu Sese Seko. Le jeune Etienne Tshisekedi s’accommode bien de ce régime dictatorial qui le propulsera ministre de l’intérieur dès 1965. Il ne trouvera rien à redire à l’assassinat, quatre ans plus tôt, de Patrice Lumumba, le premier chef de gouvernement du Congo indépendant. Rien à redire non plus à la répression et aux exécutions, comme la pendaison de quatre politiciens, en 1966, les « martyrs de la Pentecôte ».
Une mue radicale et rapide
Le jeune homme brillant et ambitieux gravit les échelons du pouvoir, contribue à la rédaction de la Constitution de 1967, amendée trois ans plus tard, pour instaurer le régime du parti unique. Le futur démocrate sert la dictature de Mobutu, un temps seulement.Au début des années 1980, sa mue d’opposant est rapide, radicale et périlleuse. Il n’est plus ministre ou ambassadeur mais l’un de ces treize députés qui cosignent une lettre ouverte au vitriol adressée au chef de l’Etat à qui ils reprochent la mainmise absolue de son parti sur la vie politique et réclament une démocratisation.
Puis ses dénonciations des violations des droits humains lui vaudront d’être traqué, arrêté, emprisonné par Mobutu qui le considère comme un « aigri », nostalgique des privilèges de ministre ou d’ambassadeur qu’il fut autrefois. Au lieu de le détruire, le maréchal renforce son plus coriace détracteur, devenu populaire et charismatique. C’est désormais lui le « martyr ». Dans un contexte de crise politique et de colère du peuple, Mobutu le nomme premier ministre en 1991. Une fonction qu’il n’assumera que quelques jours avant d’y revenir pour trois mois l’année suivante, à l’issue de la Conférence nationale souveraine (1990-1992) qui ouvre la voie au multipartisme. Mobutu tarde à signer l’ordonnance de nomination, use de la ruse pour le piéger et l’empêcher de gouverner. Il approche une dernière fois le pouvoir comme premier ministre durant huit jours, en avril 1997. Le Zaïre vit alors ses dernières heures. Le mois suivant, les troupes rebelles venues de l’est du pays s’empareront de Kinshasa et leur chef, Laurent-Désiré Kabila, s’autoproclame président de la toute nouvelle République démocratique du Congo. Le « Tshi » avait été approché pour prendre la tête de cette rébellion soutenue par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda mais aussi nationaliste que farouchement opposé à la prise du pouvoir par les armes, il avait décliné la proposition.
Longs séjours médicaux
Jamais Etienne Tshisekedi n’aura donc réussi à conquérir le pouvoir. Alors, il s’est contenté de dénoncer les dérives dictatoriales de Laurent-Désiré Kabila puis de Joseph Kabila, qui a succédé à son père assassiné en 2001. L’opposant professionnel dit ne plus reconnaître l’autorité du président, convoque des manifestations d’ampleur, s’emporte lors de discours enflammés. Les laissés-pour-compte de Kinshasa adulent leur « sphinx », très vraisemblable vainqueur de la présidentielle de 2011. En vain. Joseph Kabila est reconduit à la tête de l’Etat et Etienne Tshisekedi continue de régner sur une opposition fragilisée et divisée. Avant de se retirer en 2014 dans sa maison de Wolowue-Saint-Pierre, commune huppée de Bruxelles, pour un long séjour médical de près de deux ans interrompu par des négociations secrètes avec le pouvoir. A Ibiza ou à Venise, des émissaires des deux camps ont discuté d’arrangements politiques et financiers en vue de l’organisation d’un dialogue à Kinshasa et d’un report des élections. Puis Etienne Tshisekedi, bien que très amoindri, rompt brusquement les négociations et reprend la lutte. Au grand dam du pouvoir qui pensait enfin l’apprivoiser.A ceux qui doutaient de sa popularité, qui le rangeaient parmi les reliques du passé, son retour à Kinshasa le 27 juillet 2016 fut un éclatant démenti. Des dizaines de milliers de ses sympathisants l’y attendaient comme le Messie, persuadés que le retour du vieil opposant pourrait accélérer le départ du jeune président. Le « sphynx » s’est éteint. Et Joseph Kabila est toujours au sommet de la pyramide du pouvoir.