S.E. Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’UA lors du Sixième Sommet Afrique-Union Européenne

Monsieur le Président du Conseil européen,

Madame la Présidente de la Commission européenne,

Mesdames Messieurs,

Nous voici, enfin, le temps d’épreuve surmonté, réunis physiquement, à Bruxelles pour la tenue tant attendu du 6ème Sommet Union africaine-Union européenne. Nul doute que la chaleur des retrouvailles va irriguer d’une nouvelle énergie notre belle amitié sculptée, parfois dans la douleur, mais aussi dans le triple creuset de l’histoire, de la géographie et du destin de nos peuples.

Aussi voudrais-je me féliciter de la présence des dirigeants de nos deux Continents et saluer l’organisation parfaite des présentes assises.

Excellences, Mesdames et Messieurs

La survenance de la Covid 19, plus de deux années déjà, a profondément bouleversé les certitudes et failli instaurer des doutes graves sur le sort de notre humanité, ses valeurs de solidarité, de générosité, voire sur l’existence pérenne de la civilisation universelle d’aujourd’hui.

Rassurée par les hypothèses de croissance optimistes, L’Afrique poursuivait, alors, à la faveur d’efforts endogènes combinés à des facteurs exogènes favorables, l’élan de sa dynamique ascendante dans le cadre de la mise en œuvre ordonnée et progressive des programmes d’intégration régionale profondément inspirés de l’Agenda 2063.

Brusquement, les signaux du desserrement des contraintes qui fondaient une relative foi en l’avenir se sont éteints. Sont alors remontées en surface les fragilités structurelles.

Bien sûr, la Covid-19 a noirci le tableau, amplifié les peurs, et perturbé les circuits et réseaux des échanges internationaux dont le continent demeure, hélas, largement tributaires.

En dépit de l’épouvante généralisée, l’Afrique a révélé une exceptionnelle résilience. Elle a démontré que derrière les évidences de fragilités, de dénuement, de précarité, de pénuries, l’âme et les tissus structurant l’univers culturels, psychologique et mental de l’homme africain lui procuraient une force de résilience à nulle autre pareille.

Les compétitions et rivalités internationales, les déficiences patentes d’une gouvernance rationnelle, juste et inclusive, ont ouvert la voie à toute sorte de déviance politique et intellectuelle.

Les changements anti constitutionnels de gouvernement, dont une telle situation fait le lit, défient avec une inacceptable arrogance l’ensemble des dispositifs constitutifs de l’architecture africaine des normes en matière de démocratie et de gouvernance.

Au plan économique, L’épargne interne a enregistré une baisse de 18%, tandis que les envois de fonds de l’étranger ont replié de 25%, et les Investissements directs étrangers ont reculé de 40%, le tout sur fond d’une importante baisse des recettes fiscales.

La raréfaction des financements en dépit de leur immense disponibilité potentielle renforce l’obsédante question de la reprise économique. Le fait que notre partenariat n’a pas été capable, jusqu’ici, de réussir, en plénitude, cette mobilisation possible en faveur d’un vrai plan de reconstruction et de modernisation, est franchement désolant. Qu’y -t-il de plus urgent que de relever cet immense défi à l’intelligence, à l’inventivité, à nos talents d’innovation et à nos intérêts communs ?

 Je sais, au demeurant, que le nœud ici n’est pas la disponibilité des financements mais encore et toujours le rassemblement des volontés politiques garantissant les meilleures affectations et surtout les systèmes d’une gouvernance mondiale juste et solidaire.

Il est, certes, heureux de constater le large consensus sur les priorités dans les domaines structurant nos espérances communes que sont, la recherche innovante de financements, la connectivité/ digitalisation, les infrastructures, le changement climatique, la transition énergétique, la production des vaccins, l’agriculture et le développement durable, l’éducation, la formation professionnelle, la migration et la mobilité, l’intégration économique, la paix, la sécurité et la bonne gouvernance. Il nous faut maintenant aller bien au-delà de la seule et simple formulation théorique, incantatoire de ses pertinentes priorités.

 Bien que cette convergence euro-africaine déclaratoire constitue assurément un indicateur de cohérence dans une commune vision stratégique, elle pêche, cependant, pourquoi se le cacher, par un vrai décalage entre ses formulations discursives et ses retombées factuelles, pratiques, transformatrices du réel.

Si nos échanges préparatoires de ce sommet ont été plus diversifiés, mieux articulés et conduits, ils ne sauraient occulter, au-delà de nos convergences et de la solidité de notre consensus sur les priorités, des nuances d’écart de sensibilité. L’Afrique développe une diversité de partenariats qui n’a pas la même histoire, ni la même ampleur que celle de notre partenariat avec l’Europe. Ces nouveaux partenariats ne sont pas moins pertinents et avantageux pour l’Afrique et, de ce point de vue, sont dignes de respect et de prise en compte.

La hiérarchie des priorités est un autre volet où les nuances s’expriment. A quelle place, dans la pyramide situer, par exemple, la transformation structurelle des économies africaines par rapport à celle- là même des valeurs, des modèles et systèmes politiques ? Quelle place accordée à la formation des jeunes africains et à leur mobilité pour la connaissance ? Comment occulter les nuances qui existent sur les problématiques de la transition écologique et des énergies fossiles ?

Monsieur le Président du Conseil de l’Union européenne

Monsieur le Président de l’Union africaine

Mesdames et Messieurs

Il se dégage du parcours jusqu’ici accompli par le partenariat Union africaine -Union européenne une préoccupation sur le comment de la mise en œuvre efficace et efficiente des différentes activités figurant dans les plans d’action. La lisibilité du partenariat ne pouvant être reflétée que dans des résultats tangibles. Ce souci du comment interpelle notre commune réflexion. A ce titre, l’Union africaine, pour sa part, voudrait partager son approche sur cet important aspect.

Deux paramètres pourraient être conjointement pris en compte, à savoir, d’une part les mécanismes de financement et d’autre part les mécanismes de suivi et d’évaluation des projets/programmes.

Les mécanismes classiques ayant clairement affiché leurs limites, nos deux Unions sont sollicitées pour en inventer de nouveaux plus souples, plus efficaces, plus producteurs de résultats. Elles devront surtout coopérer plus efficacement dans la lutte contre les flux financiers illicites et rapatrier les fonds issus de tels flux vers l’Afrique. 

La bonne pratique d’évaluation périodique et régulière mérite d’être rapidement prise en compte, car elle offre le bénéfice de faciliter les ajustements conjoncturels requis et d’envisager l’avenir avec plus d’assurance. Et de maitrise.

De grands espoirs sont soulevés aujourd’hui par notre sommet. Les attentes qu’il suscite au sein des gouvernements, des élites et des peuples des deux continents sont réels. Sera-t-il par ses décisions innovantes et courageuses ce sommet d’un partenariat rénové, revitalisé, nourri d’une âme nouvelle de pragmatisme créateur de projets concrets, structurants et transformateurs dont l’espérance a marqué ses travaux préparatoires ? Saura-t-il refonder les relations Afrique-Europe, dont le solide socle invite instamment à une adaptation à l’évolution mondiale vertigineuse où les exigences de rationalité, de technicité, de transparence, de redevabilité, d’égalité, sont les vrais paramètres de performance et de modernité de la gouvernance ?

La réponse à cette « ardente obligation « est l’âme de notre vif souhait pour le succès de notre sommet.

Je vous remercie.