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Vingt ans de réclusion pour Fabienne Kabou

L’avocat général Luc Fremiot, ici au premier jour du procès de Fabienne Kabou, avait requis dix-huit ans de réclusion. Photo Philippe Huguen. 

La cour d’assises du Nord a lourdement condamné Fabienne Kabou, stoïque à l’énoncé du lourd verdict, à l’issue de cinq jours de procès pour l’assassinat de sa fille de quinze mois.

Elle s’est levée, puis d’une voix presque éteinte a prononcé «non, merci». Fabienne Kabou n’a plus rien à ajouter au moment où les jurés de la cour d’assises de Saint-Omer partent délibérer. Peut-être a-t-elle compris que le langage est devenu son pire ennemi au terme d’un procès où ses mots, pourtant choisis avec soin, ses phrases si bien tournées, sa syntaxe si précise n’ont cessé de la desservir. Aux yeux de tous, elle est apparue lointaine et froide, faisant de cette intelligence qualifiée de supérieure son armure et son épée.

Durant cinq jours, elle a sidéré la cour par son détachement et le récit quasi chirurgical d’un crime qu’elle n’a jamais tenté de fuir. Au contraire, elle s’est montrée tout aussi soucieuse que les jurés de comprendre pourquoi, cette nuit du 19 novembre 2013, elle a «remis», Adélaïde, sa fille de 15 mois, à la mer du Nord. Quelle est cette «force sans nom» qui l’a poussée à prendre le train pour Berck-sur-Mer ? Comment est-elle devenue ce «jouet du destin», ce «tueur à gages», qui a imprimé ses pas sur le sable glacé de la plage ? Fabienne Kabou n’a pu proposer qu’une seule explication : la sorcellerie.

Psychiatres «sur le fil du rasoir»

Les experts qui ont tenté de cerner la personnalité indéchiffrable de l’accusée ne sont pas parvenus à se mettre au diapason. Un premier collège, composé d’un psychiatre et d’un psychologue, a exclu toute pathologie mentale mais évoqué des «croyances particulières» à l’origine d’une altération du discernement de l’accusée. Lors d’une contre-expertise, trois autres psychiatres, sont arrivés à la même conclusion. Toutefois, ils ont posé un diagnostic différent. Cette «force sans nom» évoquée par Fabienne Kabou pourrait être qualifiée de«psychose délirante».

Persuadée de «ne pas être seule dans sa tête», l’accusée évoluerait dans un conflit permanent entre elle-même et l’extérieur. Si elle n’a jamais dit qu’elle était enceinte à sa mère ni à son entourage, si elle a accouché clandestinement ou si elle n’a jamais déclaré Adélaïde à l’état civil, c’est parce qu’«elle pense que nommer l’enfant, c’est la mettre en danger». Les psychiatres ont estimé qu’ils étaient sur «le fil du rasoir» pour conclure à une abolition du discernement car l’accusée concervait tout de même un certain ancrage dans le réel.

Dans un réquisitoire de deux heures trente, l’avocat général Luc Frémiot a rapidement balayé ces controverses d’«éminents experts» dont pas «un n’est d’accord avec l’autre». «Je me moque de savoir s’il y a une altération ou pas, je me moque des psychiatres», a-t-il soutenu. Tourné vers Fabienne Kabou qu’il ne lache pas du regard, c’est à elle qu’il s’adresse, désireux de faire enfin tomber «son masque d’indifférence et d’ironie». «Vous avez vidé cette salle d’assises de toute émotion», gronde-t-il, convoquant, comme pour y remédier, les fantômes d’autres enfants assassinés par leur mère comme la petite Mandolina, 3 ans.

En manipulatrice empêtrée dans ses mensonges

Si l’avocat général congédie volontiers psychose et sorcellerie, c’est pour mieux asseoir un scenario «dans l’humain». Retour dans le huis-clos de Saint-Mandé où Fabienne Kabou vit, depuis 2007, avec Michel Lafon de trente ans son aîné. Luc Frémiot la dépeint en manipulatrice empétrée dans des «mensonges construits avec une précision d’horlogerie», prisonnière d’une vie avec cet homme devenu son «boulet qui empêche la grande évasion». Fabienne Kabou a «soif d’espace». «Mais vous n’avez pas le courage de partir, lui lance-t-il. Alors la petite Adélaïde, c’est l’arme fatale. Quand vous dites au juge : “j’ai fait d’une pierre trois coups”, c’est vrai.» Il requiert dix-huit années de réclusion criminelle pour celle qui «est déjà condamnée à perpétuité».

«Cette femme a commis le pire des crimes», lui a répondu en écho MeFabienne Roy-Nansion, avocate de la défense, tout en exhortant les jurés«à ne pas rendre un arrêt» mais «la justice». Avec douceur, elle a emboîté le pas de Fabienne Kabou sur la plage de Berck-sur-Mer, fait résonner dans la cour d’assises cette voix intérieure qui lui a dit «va à la mer Fabienne». Elle a rappelé la «solitude abyssale» de l’accusée au moment des faits, une existence complètement coupée du monde. Peu à peu, Fabienne Kabou s’est effacée du réel : en 2011, elle n’a plus de sécurité sociale, plus de compte bancaire, elle ne fréquente plus l’université où elle suivait des cours de philosophie. «Fabienne Kabou se néantise», a résumé l’avocate avant de parler «d’une femme fantôme accompagnée de son enfant fantôme». Assise dans le box des accusés, surélevée par rapport au public, Fabienne Kabou est, une fois encore invisible, comme engloutie par la cage en verre.

Verdict paradoxal

L’avocate s’évertue à la faire exister, elle n’est pas «un monstre froid» ni«une machine de guerre», mais une «femme qui a terriblement , dramatiquement basculé dans la folie». Prévenant les jurés du danger de faire des «confettis avec les rapports d’expertises»  elle assène cet ultime constat : «Adélaïde est morte parce que sa mère est folle». «On était à un cheveu de l’abolition du discernement, à un cheveu près, cette femme dépendait de la médecine et non de la justice», rappelle-t-elle aux jurés.

Ces derniers lui ont répondu sans demi-mesure, choisissant la froideur à la folie, la préméditation à la psychose : vingt ans de réclusion criminelle. Le verdict apparaît paradoxal puisque d’un côté, ils ont retenu l’altération du discernement mais de l’autre, ils ont sanctionné Fabienne Kabou lourdement, outrepassant les réquisitions. A l’énoncé de la peine, cette dernière est restée impassible. Puis, elle a disparu. Une fois de plus.

Julie Brafman 

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